Épisode 0.10 : Ton cerveau te parle. Vas-tu enfin l’écouter? – Dre Sonia Lupien, chercheure en neurosciences
C'est pour ça que l'humilité est une arme, une arme spectaculaire contre le stress.
Pourquoi?
Parce que la journée où on décide d'être humble, puis juste se dire, mettons que ça avait
de l'allure, juste pour le fun.
Mettons, seul dans l'auto, pas besoin de dire ça au souper avec les collègues, seul dans
l'auto.
Qu'est-ce que ça ferait?
Qu'est-ce que ça me dirait?
Mettons que je décidais de lâcher le couteau entre les dents, là.
Deux minutes.
Qu'est-ce que ça ferait?
Juste voir.
Puis ensuite, soyez à l'affût de comment votre corps va réagir.
Vous allez être étonné.
Bonjour tout le monde, bienvenue à "Soigner jusqu'à se briser".
Je m'appelle Steven Palanchuck, puis aujourd'hui pour ce dixième épisode hors série, j'ai
eu le privilège de m'entretenir avec la Dre Sonia Lupien.
Dre Lupien est chercheure en neurosciences, directrice et fondatrice du Centre d'études
sur le stress humain,
conférencière, on la voit souvent dans les médias pour aller vulgariser des sujets
d'intérêt scientifique en lien avec le stress et le cerveau.
Elle est auteure de plusieurs livres dont "Par amour du stress" paru aux Éditions Va
Savoir.
Pour la discussion d'aujourd'hui, Dre Lupien a utilisé plusieurs images très révélatrices
de ce qui se passe dans notre cerveau, de manière consciente ou souvent très inconsciente.
Elle mentionne que notre cerveau nous parle, mais que ce serait à nous d'apprendre
peut-être à savoir l'écouter.
Donc sur ce, je vous laisse avec Dre Lupien.
Bonjour Dre Lupien.
Premièrement, j'aimerais vous demander pourquoi vous avez accepté de partager à cette
expérience-là de balado.
Parce que je trouve qu'on ne pas assez du stress aigu et chronique chez les
professionnel·le·s de la santé.
On en parle beaucoup dans différents domaines et je me disais, et pour la même raison que
je fais beaucoup de transferts de connaissances, je trouve absolument stupide de tout
savoir ce que je sais sur le stress et d'être la seule à le savoir.
Alors, c'est toujours très important pour moi de le partager avec les gens qui pourront en
profiter.
Je l'espère.
Une des choses que j'ai réalisées en faisant ce balado-là et en discutant avec des
collègues, c'est que c'est rarement un problème de connaissance de notre côté.
C'est souvent plus un problème de passer à l'action.
Qu'est-ce que vous pensez qui fait que les professionnel·le·s de la santé ont de la
difficulté à se mettre en action?
Je ne sais pas si ça va...
On n'a pas de données scientifiques là-dessus, je vous réponds avec mes 30 ans d'études
sur le stress.
Mais avant, commençons par décrire les 4 facteurs qui vont générer une réponse de stress
qui pourra devenir chronique, ça nous aide toujours.
Le fameux CINÉ.
Donc, il y a 4 caractéristiques qui vont faire qu'on va produire des réponses de stress,
répétées ou pas.
Donc, il faut que la situation soit nouvelle, imprévisible ou imprévue.
On n'a pas l'impression qu'on a le contrôle sur la situation et c'est menaçant pour notre
personnalité, notre égo.
Faisons une analyse vous et moi.
Ce n'est pas nouveau, la détresse, le stress chez les soignant·e·s.
Ensuite, ce n'est pas imprévisible.
Puis on peut avoir l'impression qu'on a le contrôle, et c'est peut-être ça notre problème,
c'est qu'on a l'impression comme professionnel·le·s de la santé qu'on a le contrôle sur ce
qui nous arrive, puis que si on veut communiquer avec un·e collègue pour avoir une
prescription, on va être capable, puis on va être capable, puis on va être capable.
Mais moi, c'est le dernier qui m'intéresse, la menace à l'ego.
Mmh.
On a souvent tendance à penser que la menace à l'égo, c'est bon pour les autres, ça ne
nous concerne pas, mais ça nous concerne tous parce que la menace à l'égo, c'est le plus
grand prédicteur de stress, en fait, dans les 4 caractéristiques.
On est quand même assez sensible à cette menace à l'égo.
Et comme je le dis toujours, la meilleure façon de négocier un stress chronique, c'est
l'humilité.
C'est-à-dire d'avoir l'humilité, de déposer l'arme et de dire, écoute, pense que je ne
vais pas bien.
Et ça, je pense que quand on est dans des professions médicales,
bien, c'est quelque chose, c'est un petit step qu'on n'est peut-être pas prêt à prendre
pour des raisons tout à fait naturelles.
Ce n'est pas de l'orgueil mal placé.
C'est vraiment que le cerveau n'aime pas avoir son ego menacé et ça, ça peut être une des
raisons parmi tant d'autres.
En fait, je me reconnais beaucoup là-dedans et je reconnais des collègues qui me disent
que c'est un problème de culture.
Dès le début de nos études médicales, on part avec des individus qui ont une personnalité
souvent hyper performante, qui ont évolué dans un domaine qui est compétitif.
Puis là, on arrive et on se fait dire que maintenant, il faut performer.
Alors, c'est toujours difficile d'avoir cette humilité-là puis d'accepter notre part de
vulnérabilité.
Oui, parce que moi je les vois, les étudiants souvent sont dans mes cours universitaires,
ils veulent rentrer en médecine.
Moi je les vois anxieux avant même qu'ils rentrent chez vous.
Je les vois tomber malades d'anxiété, je les vois ressembler à un chevreuil devant les
phares d'une voiture qui arrive à vive allure.
Je les vois comme ça, puis je trouve ça très difficile.
Puis permettez-moi de rajouter une autre couche au-delà évidemment de la menace à l'égo,
parce que justement, c'est comme si on se disait écoute, j'ai pas tout fait ça pour tomber
rendu à mi-chemin, franchement, j'ai passé à travers tout...
Ils ont décidé que j'étais assez capable de le faire, je ne peux pas tomber comme ça.
Et je vous raconte rapidement l'histoire d'une dame que j'avais rencontrée au
gouvernement, je parlais du stress, du stress, aujourd'hui le stress n'est pas
nécessairement absolu, c'est pas un animal qui veut nous sauter dessus.
Et à un moment donné, la dame vient me voir après, puis elle a travaillé aux
communications, puis elle me dit : "Vous dites que le stress on a du contrôle.
Je suis désolée madame Lupien, on n'a pas de contrôle tout le temps sur le stress.
Sachez
que moi je travaille aux communications du gouvernement fédéral et quand le premier
ministre décide qu'on écrit un communiqué de presse dans 2 minutes, on écrit..." Plus elle
allait, plus elle parlait vite, plus je la vois – je connais assez le stress – "On n'a pas
le choix", plus je la voyais produire des hormones de stress devant moi.
"Alors cessez de me dire..." – évidemment colère spontanée, un des autres signes – "Cessez
de me dire que je ne suis pas stressée.
Alors il n'y a aucune solution." Mais j'ai dit oui il a une solution, madame.
Et la voici, quand vous avez fait vos études en communications et quand vous avez pris la
job au gouvernement,
vous pensiez avoir la résistance nécessaire pour négocier le stress de cet emploi, il est
possible que vous ne l'ayez pas.
Parce que ce qu'on se rend compte, c'est que différentes personnes ont différentes
résistances au stress, soit déterminées génétiquement, peu importe.
Et donc, vous pensiez avoir la résistance et vous ne l'avez pas.
La preuve, vous avez des collègues qui ont exactement le même emploi que vous et qui se
promènent là-dedans, eux-aussi, aucun problème, et vous, vous souffrez le martyr, c'est
votre
cerveau qui vous envoie des messages en disant "T'es pas faite pour ce job-là, t'es juste
pas faite..." Ton cerveau dit : "Je ne suis pas capable de négocier ce que tu me demandes
de négocier." Et le cerveau, en bon travailleur dont le but ultime, c'est d'assurer votre
survie, un moment donné va vous faire tomber au combat en disant : "T'as pas l'air de
comprendre, je vais te faire tomber malade" et vous allez avoir un épuisement
professionnel, une dépression, etc.
Ça me fait penser que cette menace à l'égo vient souvent avec le syndrome de l'imposteur
chez nous qui est relativement répandu.
J'ai souvent eu, moi-même, quand je traversais des difficultés, l'impression que j'étais
le seul à vivre ces difficultés-là et que si je vis des problèmes, ça doit être moi le
problème.
Mmh.
Puis je trouve, ce qui m'amène à parler de la résilience.
J'ai développé un peu une relation amour-haine avec ce mot-là parce que je trouve que,
surtout avec la pandémie, ça a été mis un peu à toutes les sauces, avec cette histoire des
"anges gardiens" et tout.
Et on est souvent en train de dire qu'on travaille dans un système dysfonctionnel, mais au
lieu de changer le système, on demande aux individus de s'adapter.
Pourquoi?
Vous savez comme moi que le système est une machine presque impossible à changer et le
stress sert à s'adapter.
Je ne vous dis pas qu'il faut le faire, mais le stress sert à s'adapter.
Donc, pour assurer la survie de l'espèce, il faut qu'on soit capable de s'adapter, sinon
on est tous morts.
C'est à ça que ça sert la réponse de stress.
Donc, ça fait mal parce que là, il faut comme finir par s'adapter.
Pour faire ça, il faut accepter de s'adapter aux stresseurs.
Je n'ai pas dit accepter les stresseurs.
J'ai dit accepter de s'adapter aux stresseurs, c'est-à-dire de dire bon, j'ai un stresseur
dans ma vie, la vie va être difficile pendant un instant, qu'est-ce que je suis capable de
faire?
Premièrement, est-ce que j'ai la résistance pour négocier ça.
Deuxièmement, si oui, qu'est-ce que je peux faire, etc.
Et la troisième chose qu'il faut faire, c'est accepter de faire des erreurs.
Un cerveau qui ne fait pas d'erreur ne peut pas apprendre.
C'est pour ça que ça sert à l'adaptation.
C'est-à-dire qu'on fait des essais-erreurs, puis à la longue, on devient plus intelligent,
puis c'est pour ça qu'on a Google aujourd'hui, au lieu d'être encore en arrière d'un
mammouth, en train de chasser les mammouths.
On sait très bien, on est dans des systèmes, c'est un peu comme ça aussi en science, les
chercheurs sont très stressés, on a un système qu'on sait qu'il ne pas changer.
On est pris dedans.
On a tout mis nos pions pour arriver où est-ce qu'on voulait arriver, on s'est endettés,
on est allé à l'école jusqu'à 42.
Pendant que nos amis avaient deux garages, nous on avait un petit appartement, pas d'auto.
C'est tout ça.
On a eu beaucoup de prix à payer.
Est-ce qu'on va être capable un jour d'arriver dans certains cas à la conclusion qu'on n'a
pas la résistance au stress?
On n'aime pas ça.
Je vous donne un troisième élément d'information.
Je ne vous dis pas que c'est vrai.
C'est un modèle que j'aime quand même beaucoup.
C'est un modèle d'évolution parce que le stress est vu sur la loupe de l'évolution.
J'en parle dans certains de mes livres.
On parle toujours de dépression comme étant un dérèglement biologique ou d'épuisement
professionnel ou d'anxiété.
Pour nous, en passant, c'est la même affaire.
On parle toujours de ces maladies-là comme étant décrits comme un problème biologique.
Mais en stress, on n'est pas si sûrs de ça, nous.
Le bio, on ne la connaît pas tant que ça, puis elle n'arrête pas de changer à tous les
deux mois.
Et pour beaucoup, beaucoup de mes collègues en évolution, revenons à une dépression.
C'est quoi une dépression?
Une dépression...
c'est...
Comment vous dire?
Votre corps et votre cerveau qui vous disent quelque chose depuis des mois, mais que vous
ne voulez pas l'écouter.
Et puis vous ne voulez pas l'écouter.
Et puis vous ne voulez pas l'écouter.
Puis à moment donné, vous allez atteindre votre résistance, et le cerveau va dire : "Bon,
ben là, il y a de quoi que tu n'as pas compris, fait que là, je vais t'arrêter, sinon on
va péter au frette tous les deux." Et là, vous allez tomber justement pour ne pas péter au
frette, comme on dit.
Et souvent, ça va être, je sais pas...
T'aimes pas ta job et vous ne voulez pas vous l'avouer.
T'aimes pas ta femme et
vous ne voulez pas vous l'avouer, etc.
Et ce qu'on voit, c'est que ceux qui font des dépressions, ceux qui font des grands grands
changements dans leur vie – je change d'emploi, je deviens coiffeuse, j'ai toujours voulu
faire ça, je suis devenue médecin parce que je voulais juste fait plaisir à mon père par
exemple – eux ont beaucoup moins de rechute que ceux qui ont eu des dépressions et qui
n'ont rien changé.
Donc, il faut toujours voir ça justement comme des messages que notre cerveau nous envoie,
qu'il y a un nœud et qu'il va falloir qu'on en parle.
Souvent,
c'est même pas d'en parler aux autres, je trouve, le problème.
C'est de se l'avouer à soi d'abord et avant tout.
Puis je dis souvent aux gens, si vous avez de la misère parce que c'est stigmatisé d'en
parler aux gens, quand vous êtes pris dans le trafic, dites-le à voix haute une fois.
Juste une fois.
Faites juste ouvrir la porte.
Juste ouvrir la porte, puis regardez comment vous vous sentez.
Vous allez voir, ça va ouvrir parce que là le système dit : "Bon, il vient de finir
d'allumer lui-là." Et à partir de là, peut-être que ça va ouvrir d'autres portes, mais ça
va pas se faire tout d'un coup.
Ça me fait penser...
Une des théories qui revient souvent même en médecine par rapport aux circuits neuronaux :
les habitudes, une fois répétées, vont vraiment imprégner des circuits.
Puis j'ai eu dans ma pratique affaire à beaucoup de patients avec par exemple des
syndromes post-COVID ou post-viraux en général, puis qui développent un paquet de
symptômes, des douleurs chroniques, de la fatigue, une intolérance à l'effort, un problème
du système nerveux autonome...
Puis une chose que j'ai constatée en fait, c'est que quand on a eu la pandémie, on avait
une épidémie de ces patients-là qui m'arrivaient avec des symptômes très très similaires,
alors qu'ils n'avaient pas le profil pour développer des problèmes comme ça.
Puis je me suis dit, on ne peut pas avoir une épidémie de fibromyalgie, il y a quelque
chose de biologique en dessous de ça.
Ça m'a un peu sensibilisé à la recherche qui se fait là-dessus.
Par rapport aux circuits neuronaux, c'est un peu ça que j'explique aux patients.
Il y a des traumas, physiques, psychologiques, biologiques ou autres, qui sont enfouis et
qui essaient de revenir à la surface et de s'exprimer de quelconque façon.
Ça m'a un peu réconcilié avec une vision différente de la médecine parce qu'on a souvent
tendance à vouloir apprendre des listes de symptômes, puis la physiopathologie, alors que
le patient, lui, n'arrive pas avec un livre de médecine ou un livre de physiologie.
Il arrive avec son expérience de vie, il arrive avec ses traumas.
Ce qui fait donc que même moi, en médecine interne, où est-ce qu'on est très concentré sur
la portion physique,
je me dois d'aller plus du côté psychologique et d'explorer c'est quoi la racine de ces
problèmes-là.
Je doute, permettez-moi de douter que la totalité de vos collègues suivent la même voie
que vous, parce qu'on n'a pas le temps en médecine, parce que c'est pas comme ça qu'on l'a
appris, etc.
Et ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que si pendant 20 ans, 25 ans, on ne prend jamais
le temps, la peine ou la capacité de demander au patient comment il va, puis même de
penser que l'émotion vécue peut avoir un impact sur le symptôme peu importe...
Quand ça va venir le temps de l'appliquer à soi,
on ne s'en souviendra même plus.
Il va y avoir une espèce de déconnexion ou même : "J'y crois pas...
La psychologie, on sait bien, etc." Et c'est là que ça risque de commencer à coûter cher.
C'est pour ça que l'humilité est une arme, une arme spectaculaire contre le stress.
Pourquoi?
Parce que la journée où on décide d'être humble, puis juste se dire, mettons que ça avait
de l'allure, juste pour le fun.
Mettons, seul dans l'auto, pas besoin de dire ça au souper avec les collègues, seul dans
l'auto.
Qu'est-ce que ça ferait?
Qu'est-ce que ça me dirait?
Mettons que je décidais de lâcher le couteau entre les dents, là.
Deux minutes.
Qu'est-ce que ça ferait?
Juste voir.
Puis ensuite, soyez à l'affût de comment votre corps va réagir.
Vous allez être étonné.
Ça va commencer à ouvrir.
Mais on part de loin, on part de très loin, ça va avec la formation, ça va avec...
Oui, ça va vraiment loin.
Moi, ce qui m'a fait évoluer sur cette perspective-là, c'est quand moi-même, j'ai traversé
des difficultés, puis que j'ai entrepris une démarche thérapeutique.
Puis quand on est dans le siège du soignant, on est en contrôle.
On parlait des facteurs de stress tantôt.
Quand on est en contrôle comme médecin, c'est rassurant.
On est dans nos pantoufles, mais quand on est du côté du soigné...
Là, on perd ce contrôle-là, puis il y a deux options.
Soit qu'on l'accepte ou on ne l'accepte pas.
Pour l'accepter, ça prend cette humilité, je pense, dont vous faites la mention.
Puis de se dire, c'est correct d'être vulnérable.
Puis de pouvoir, après ça, quand on revient de l'autre côté du bureau, changer
complètement la perspective.
Parce que je connais maintenant l'importance du poids des mots.
Les mots qui m'ont été dit quand j'étais du côté du soigné.
C'est plus facile maintenant d'avoir cette empathie-là et cette intelligence
émotionnelle-là avec mes patients.
Je vais vous donner une analogie visuelle, des fois ça peut aider les gens.
C'est juste la socialisation, c'est une socialisation nounoune comme j'appelle.
Il faut toujours se souvenir qu'entre le corps, que vous vous traitez, et le cerveau qui,
moi, m'intéresse, il y a juste un cou...
C'est la même affaire, cette patente-là.
Il n'y a pas deux choses différentes.
Le cerveau s'occupe de générer des émotions, de les interpréter, etc.
Puis le corps s'occupe de faire vivre tout ça, n'est-ce pas?
Et pourtant, quand vient le temps...
Puis j'ai fait une chronique là-dessus à Radio-Canada où je disais, prenez soin de votre
cerveau, au même titre que vous prenez soin de votre corps.
Là, tout le monde prend soin de son corps.
Les gens se font des jus verts, du lait au curcuma, puis ils font des triathlons et ils
sont bien contents de mettre ça sur Facebook.
Pourtant, personne ne s'occupe de son cerveau, encore plus chez les professionnel·le·s de
la santé.
Et là, quand ils tombent au combat avec leur cerveau, là ils s'imaginent dans un état
d'échec, etc.
Et l'analogie que je fais toujours dans mes cours, c'est la suivante.
Revisitez...
Moi j'adore les films de rois et de chevaliers, etc.
Et à chaque fois que j'écoute un film de chevaliers, je me dis qu'il faudra en faire un de
même pour le cerveau.
Je vous donne un exemple.
Une gang de chevaliers qui partent défendre le roi.
Et là, ils sont invincibles, ils se sont pratiqués, etc.
Puis ils partent au combat, puis là on les voit se battre.
Puis là on les voit se battre, puis on les trouve super bons.
Et là, mettons que notre chevalier le plus important de la gang reçoit un coup de lance
dans la côte et il s'effondre au sol.
On ne va pas dire qu'il est un "looser", on va dire : "Mon Dieu Seigneur, il est mort au
combat, il nous a défendus dans son courage." Mais quand on regarde quelqu'un qui fait une
dépression parce qu'il est professionnel de la santé et qu'il en a sauvé 14 la semaine
d'avant, pourquoi soudainement c'est un échec ?
Il a juste reçu un coup d'épée dans le flanc...
C'est comme ça qu'il faut le voir.
Pourquoi est-ce qu'on a cette dissociation-là?
Peut-être parce que la psychologie,
les émotions, ça a toujours été la pseudo-science pendant des années, etc.
Et pourtant, c'était intéressant quand vous avez dit, je me suis retrouvé du côté du
soigné.
Il n'y a aucun psychologue sur la terre qui n'a pas fait sa propre psychothérapie, c'est
presque impossible, et donc on va avoir vécu ces deux côtés.
Moi, je ne suis pas psychologue de formation, j'ai beaucoup de collègues qui le sont.
Alors c'est cette analogie-là, ce n'est pas parce qu'on a reçu un coup de lance dans la
côte qu'on est faible.
Ce qui m'amène un peu à toucher au sujet des solutions.
Qu'est-ce qui ferait en sorte que les soignantes ou les soignants puissent se mettre à
l'action puis changer leur perspective par rapport à ça?
Je pense que la première chose à faire, c'est de déstigmatiser.
Je pense que la première chose à faire, c'est de modifier déjà très très tôt dans les
cours en médecine.
Moi, j'ai des jeunes que je vois sortir de l'université...
Moi, mes clients ont toujours 21, à chaque année, fait que je les vois rentrer, puis je
veux dire, ils me parlent un peu de la façon dont ils sont, vous êtes l'élite de la
société, vous êtes les guerriers...
Ça va, on se calme là.
Je veux dire, dans pas longtemps, les gars en IT vont être aussi importants.
C'est sûr que si vous avez une vieille garde de profs qui vous remet ça en tête, moi, ce
que j'aime beaucoup de votre génération, cher Steven, c'est que vous avez le débat dans
les côtes.
Et donc, je propose aux jeunes, moi, de débattre ces histoires-là et de dire vraiment
pourquoi?
Pour que déjà,
prendre ce sentiment de contrôle au lieu de se faire brainwasher comme ça, de se dire non,
pourquoi serait-on l'élite?
Et le prix qu'on va payer pour ça à long terme va être très très élevé.
Donc je pense qu'il va y avoir, je pense qu'il a un mouvement de refus global en fait qui
devrait commencer à arriver.
Et tout ça en se mettant ensemble et en déstigmatisant, je pense.
Est-ce que ça va arriver, c'est plus votre culture, votre milieu que le mien.
Mais sans ça, je pense qu'on se retrouve tout seul.
Quand on se retrouve tout seul, ça ne veut pas dire que tout est fini.
Au contraire, je vous le dis, la première chose, votre auto est un endroit merveilleux.
Votre voiture est un endroit merveilleux.
Ou votre salle de bain, si vous n'avez pas de voiture, dites-le à voix haute.
Dites-le à voix haute et ensuite commencez à juste avancer avec ça.
Et si vous avez à en parler à un collègue, parlez-en à un collègue plus jeune que plus
vieux, parce qu'ils sont plus ouverts à cette idée-là.
Et donc vous allez avoir moins de chances d'avoir un espèce de refus catégorique.
C'est pas de l'âgisme que je fais, c'est les effets de culture qu'on voit très très bien.
Et donc aujourd'hui, les jeunes et la santé mentale, on a une approche complètement
différente que dans ma génération.
Et tranquillement pas vite, de juste dire : "J'ai reçu un coup d'épée dans le flanc, et ça
y est, je suis à genoux." Il n'y a personne qui devrait laisser un guerrier là.
Le mantra en fait pour 2025 de mon côté c'est que pour avoir des résultats différents, il
faire les choses différemment.
Puis exactement, c'est qu'on a été souvent – en tout cas, je vais parler pour moi – je
m'attendais à avoir des résultats différents puis en me disant, pourquoi donc que j'arrive
toujours aux mêmes résultats, que je demeure épuisé, que je suis toujours fatigué?
Alors qu'il y avait des choses que j'avais volontairement ou inconsciemment mises de côté.
C'est en faisant la paix avec ces choses-là que ça m'a permis de passer à la prochaine
étape.
Deux choses que je veux vous dire là-dessus, elles sont complètement différentes, mais
vous m'avez activé ça dans le cerveau.
Savez-vous, c'est quoi, Steven, le premier signe d'un épuisement professionnel chez un
humain?
C'est le cynisme.
Soyez très à l'affût de ça.
Chez quelqu'un qui ne l'est pas de nature.
Alors, chez quelqu'un qui n'est pas cynique, quand le cynisme commence à arriver.
"Ça ne sert à rien de toute façon." Là, c'est là que le cerveau commence à avoir son petit
nuage noir.
Donc, soyez à l'affût de ça d'abord.
Deuxième chose que je voulais vous dire, les gens ont tendance à oublier ça.
Vous êtes en stress chronique et vous n'êtes pas encore tombé au combat avec une
dépression, mais ça s'en vient.
Mais avant de tomber, vous avez la brillante idée de dire "OK, il que je fasse de quoi."
Voici l'information importante.
Ça prend autant de temps à un cerveau humain de déstresser que ça lui en a pris pour
stresser.
Elle est là l'erreur des humains.
Les humains pensent que la journée où ils lâchent le couteau entre les dents et ils disent
"ça y est, ça ne va pas bien" qu'en quatre semaines avec du jus vert, ça va bien aller.
Mais non!
Pourquoi ?
Parce que le cerveau, c'est un détecteur de menaces.
Sa job, c'est de détecter des menaces pour nous faire survivre.
C'est pas parce qu'un jour, quand ça fait sept ans qu'on est en stress chronique et qu'on
lui dit qu'il y a de la menace partout, qu'on n'est plus capable de dormir, qu'on prend
trop d'alcool et qu'on a mal à la tête à temps C'est pas parce qu'un jour on dit "OK, là,
cerveau...
ça va.
Il n'y a plus de menaces" qu'il va dire "OK"...
Ben non!
Il va dire "Ne prends pas de chance!"
Et donc, si ça vous a pris sept ans stresser, bien ça va vous en prendre sept à déstresser
graduellement.
Donc, on est trop impatients, puis on dit "Ben, ça marche pas." Ben là, donnez-y une
chance, il est encore en train de chercher des stresseurs lui-là, il n'est pas fou, lui,
sa job, c'est d'assurer la survie de l'espèce.
Ça, c'est la première chose importante.
Deuxième, mettons que vous êtes en stress chronique, vous tombez au combat.
Et là, vous tombez à genoux, pris dans le flanc.
Vous avez une dépression, un burn-out, un épuisement professionnel.
Deuxième chose que je veux vous dire, sachez que
quand vous allez revenir au bureau, après aller mieux, vous n'aurez plus jamais la même
résistance au stress que vous aviez avant.
Jamais.
Vous ne plus jamais capable de tout faire ce que vous faisiez et ce ne sera pas un échec.
C'est votre cerveau qui vous sauve la vie.
Je vous donne une ...
J'aime ça, moi, les petites histoires.
Pourquoi?
C'est comme si le cerveau disait : "Bon, mon espèce de nono...
Pendant des années, tu as stressé, je t'ai envoyé plein d'indices pour te dire que tu
étais stressé, et tu n'as rien vu.
Tu n'as rien vu, tu as tout mis ça en dessous du tapis.
Et évidemment, tu es tombé au combat.
Moi, ma job, c'est d'assurer ta survie.
Fait que là, tu n'auras plus jamais la même résistance, c'tu clair ?
Tu ne seras plus jamais capable.
Je vais faire en sorte qu'à mi-chemin, tu vas tomber à genoux.
Tu ne pourras plus jamais te rendre jusqu'où tu es allé.
Les gens voient cette diminution-là de la résistance comme un échec.
C'est un cerveau qui dit : "Je vais t'aider parce que tu n'as pas l'air d'allumer."
Et c'est une merveilleuse réponse pour assurer la survie de l'espèce.
Et donc, ce qu'on pourrait voir comme échec, c'est la beauté d'un système merveilleusement
bien organisé pour nous aider quand on n'a pas l'air d'allumer qu'il faudrait le faire
nous-mêmes.
Puis là, on parle de la résilience des individus.
Puis si on avait une baguette magique, qu'est-ce que vous changeriez pour augmenter la
résilience du système?
Hey, c'est une question à 600 000 $.
Je ne vais pas essayer de changer le système, c'est trop gros.
C'est comme dire, je ne veux plus jamais qu'il y ait de mammouth, puis moi j'habite dans
la préhistoire, ça ne va pas se donner.
Je suis pris avec des mammouths, il faut que m'adapte aux mammouths.
Donc là, je suis pris avec un mammouth qui est le système de santé, je peux bien m'asseoir
à terre, et dire que je ne veux pas de mammouth, je ne veux pas de mammouth.
Il y en a plein de mammouths, ça s'appelle un système de santé, je suis pris avec.
Donc je suis pris avec.
Moi, je suis dans ma job à chaque jour, puis le lundi quand je rentre, je commence à avoir
mal au ventre du mardi, puis le mardi, je commence à avoir mal au ventre du mercredi...
Ce que je changerais...
J'apprendrais aux gens à vraiment se demander, je ne sais pas comment faire, peut-être des
stages ou je ne sais pas quoi d'avance pour qu'on s'assure que les gens qui rentrent dans
le système ont la bonne résistance.
Je trouve qu'il y a trop de gens qui s'en rendent compte trop tard parce que ça paraissait
bien de rentrer en médecine parce que nos parents étaient médecins.
Je ne sais pas pourquoi il y a tant de gens qui veulent aller en médecine.
Je n'ai jamais voulu aller en médecine.
Je trouvais ça bien trop stressant.
Je n'ai pas la résistance pour ça.
Mais s'il y avait plus de gens qui prenaient le temps de se demander vraiment, j'ai-tu la
résistance?
Les gens se disent : "J'ai la capacité intellectuelle de le faire", c'est beau.
OK, ça, il y a plein de monde qui ont ça.
Mais est-ce que j'ai la résistance ?
C'est la même chose chez les pompiers, c'est la même chose chez les policiers.
C'est la même chose...
J'ai une amie policière, elle n'a pas la résistance, elle est tombée au combat, c'est
correct.
Et là, ce qu'elle pourrait faire, c'est merveilleux, aller dans des écoles, parler du
travail de policier.
Je veux dire, on peut essayer de trouver un endroit dans le système où on peut se
retrouver.
Je vous donne un exemple.
Il y avait une étude de neuf pays qui avaient été faite en Europe pour voir pourquoi il y
avait tant de burn-out.
Ce n'était pas pour les professionnel·le·s de la santé.
Puis ils se sont rendu compte que les gens qui font un burn-out, c'est pas à cause de la
surcharge de travail, c'est qu'ils ne sont pas au bon endroit, ils ne sont pas dans la
bonne job.
Par exemple, si vous stressez avec l'imprévisibilité...
ne devenez pas vendeur, vous allez mourir de stress, voyez-vous?
Donc si l'imprévisibilité, vous vous aimez ça, bien OK, vendeur, ça va être bon, mais les
gens ont pas pensé à ça.
On a choisi nos jobs en secondaire 4, parce qu'on nous a dit que c'est ça qu'il fallait
faire.
Sans trop y penser, on est rentré là-dedans.
Moi, je pense qu'elle est là, l'erreur.
Je pense que c'est quelque chose qu'on pourrait faire bien d'avance en étant bien informé.
Puis en fait, ça me fait penser à ma dernière question pour vous...
Si vous pouviez parler à la Sonia qui a 21 ans puis qui va commencer son parcours,
qu'est-ce que vous aimeriez lui dire ou vous auriez voulu être mise en garde de quoi?
Je lui aurais dit une seule chose et c'est "Suis ton intuition".
Le cerveau sait ce dont il a besoin et je suis certaine, Steven, que vous savez de quoi je
parle.
Si vous êtes tombé au combat à un moment donné, vous les avez eu les signes.
« Suis ton intuition » et ne met pas ça en dessous du tapis.
Jamais.
J'ai toujours, toujours fait ça.
J'ai eu des grands changements, des grands stresseurs et c'est ça, je pense, la source de
la résilience, c'est qu'on ne s'écoute pas.
Merci beaucoup, Dre Lupien, pour le temps accordé.
C'est vraiment fascinant comme toujours.
Ça fait plaisir.
On pourra peut-être s'en reparler bientôt dans un autre contexte.
Merci.
Avec grand plaisir.
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