Épisode 0.11 : On ne m'avait jamais vue comme ça. Moi non plus. – Dre Hala Lahlou, médecin de famille
Et je pense que ça faisait peut-être la dixième fois que j'essayais de m'asseoir.
Il y a une famille dans le corridor qui veut me parler, il y a quelqu'un qui appelle, il
faut répondre au téléphone.
La pagette qui sonne et tout à coup je m'assois pour écrire et là y a un de mes collègues
infirmier qui vient et qui veut juste m'interpeller et là j'étais comme...
Non!
Non!
Une réaction complètement absurde maintenant que j'y pense...
Démesurée, absurde, non professionnelle selon les standards.
Bonjour et bienvenue à "Soigner jusqu'à se briser".
Je m'appelle Steven Palanchuck, puis aujourd'hui pour ce 11e épisode hors série, j'ai eu
le bonheur de faire la rencontre d'une humaine extraordinaire qui s'appelle Dre Hala
Lahlou.
J'ai vu par hasard sur les réseaux sociaux une publication d'Hala dans laquelle elle se
confie avec une humanité et une sensibilité désarmante
sur les risques de notre métier.
Soigner peut briser littéralement, puis elle en est un parfait exemple.
Elle se pose la question tout haut, tout simplement, pourquoi on continue?
Pourquoi on continue à travailler dans un système qui est tellement difficile, dans des
conditions qui feraient abandonner bien des personnes?
Sur un paquebot qui semble couler lentement depuis plusieurs années avec un capitaine qui
semble avoir complètement oublié l'humanité derrière son équipage, qui se réfugie derrière
des colonnes de chiffres plutôt que de voir les personnes qui tiennent à bout carrément le
système.
C'est une conversation bouleversante
qui m'a grandement touché et qui m'a fait réfléchir sur les priorités dans ma vie.
J'espère que vous allez apprécier cette rencontre, tout comme j'en ai été honoré.
Puis sur ce, je vous laisse avec ma conversation avec Hala et je vous souhaite une bonne
écoute.
Première question pour toi, pourquoi tu as accepté de participer à ce projet-là?
Je trouve que c'est porteur de sens.
Il n'y a pas beaucoup de gens qui parlent de cet aspect de la pratique, de cet aspect de
la souffrance des soignants.
On en parle entre nous, mais c'est toujours un peu entre nous.
Ce n'est pas ouvert à tous, ce n'est pas exposé à tous.
Et je pense que ça...
Ça perpétue le mythe du super docteur, super-héros qui est infaillible.
Et montrer qui on est vraiment avec nos forces, mais surtout nos fragilités, notre
humanité, ça nous permet de juste redevenir des humains qui sont là pour aider d'autres
humains avec les connaissances médicales qu'on a.
Ça ne fait pas de nous des robots sans cœur et qui sont capables de fonctionner.
Et je pense qu'on n'en parle pas assez.
On n'en parle pas assez et...
Il n'y a rien de tabou là-dedans.
On parle de tellement d'autres choses de manière ouverte de nos jours.
Je pense que c'est un sujet de plus qu'il faut aborder ouvertement et sans tabou.
Qu'est-ce qui entretient ce mythe-là d'après toi?
La culture médicale elle-même.
Le fait qu'on a été un peu choisi ou sélectionné pour être performant, puis que ça fait
partie des traits de personnalité peut-être qu'on a ou de la manière dont on a été formé,
des fois j'appelle ça, où on a été déformé.
C'est la formation médicale, c'est la déformation.
Et le fait qu'on...
On nous a souvent répété qu'il fallait être fort, qu'il ne fallait pas montrer nos
émotions nécessairement dans des situations difficiles, qu'on était résilients, qu'on
était bons, bien on finit par essayer de bâtir cette carapace, puis d'essayer de la
maintenir.
Je pense aussi – ça c'est par rapport à nous, par rapport à nos collègues – puis je pense
par rapport aux patients, c'est une forme, entre guillemets, de professionnalisme, de se
montrer professionnel, de bonne humeur,
disponible, disposé à aider.
Des fois, on...
Alors, c'est ni le temps ni l'espace de parler de nos propres problèmes quand on est avec
les patients.
Puis c'est...
Je pense que c'est ça qui entretient le mythe, puis c'est ça qui entretient le tabou.
C'est cette espèce de carapace qu'on se créé ou cette image qu'on veut projeter du bon
médecin.
C'est ce que j'appelle le masque du soignant.
J'appelle ça aussi ma voix du docteur.
Parce qu'on ne parle pas en ce moment, toi et moi, comme je parlerais avec un patient ou
avec un collègue, plus dans une relation professionnelle, collégiale, on va dire.
Alors que comme tu dis, on est tous et toutes
dans le même bateau, on travaille dans un même système qui est souvent jugé comme étant
dysfonctionnel.
On vit des choses, puis pourtant, on n'en parle pas.
C'est un peu ça aussi que cette démarche-là du balado me fait réaliser.
Je me suis entretenu avec tellement de personnes, puis c'est unanime.
Tout le monde dit qu'il y a un problème, mais personne n'en parle.
Et l'idée, c'est à qui de faire le premier pas, c'est à qui de...
C'est à qui qu'on...
C'est comment qu'on peut le briser cet espèce de masque-là ou de cette carapace-là, puis
de juste dire, on est ce qu'on est, puis il n'y a pas de mal à être vulnérable, il n'y a
pas de mal à partager notre ressenti, nos émotions, et être tout de même professionnel, et
être tout de même...
compétent et tout de même résilient.
Je pense que, en partie, la résilience, le fait de pouvoir continuer à travailler dans ce
système qui est dysfonctionnel, de prendre la quantité de travail qu'on a à faire, etc.,
il faut qu'il ait une soupape, il faut qu'il ait une manière pour nous de partager ce
qu'on vit, puis de passer à autre chose.
Et beaucoup de gens vont juste garder, garder, garder en dedans, puis jusqu'à tant que ça
explose, puis ça n'a pas de sens.
En tout cas.
J'ai eu des exemples de collègues où le presto a sauté.
Quand ça explose, ça explose souvent pas de la bonne manière, au bon endroit.
À ce moment-là, même, on n'est plus professionnels quand on se laisse atteindre à ce
point-là.
Ça me fait penser, on se fait souvent dire, il faut être empathique et non pas
sympathique.
Alors que tu parles de cette vulnérabilité-là qui est finalement compatible avec le fait
d'être un professionnel quand même.
Moi, quand on parle d'exploser sans le vouloir au mauvais moment, au mauvais endroit, dans
les mauvaises circonstances...
Pendant 15 ans, j'ai pratiqué en soins palliatifs et j'ai su que je devais arrêter le jour
où j'ai perdu patience.
J'étais dans une unité de soins puis je pense que c'était juste trop cette journée-là.
Normalement, je suis
très polie, très gentille, très respectueuse de tous mes collègues, très proche des gens
sur l'étage, les infirmiers et les infirmières.
Et je pense que ça faisait peut-être la dixième fois que j'essayais de m'asseoir.
pour écrire mes notes et que quelqu'un me demandait quelque chose puis qu'il fallait que
je me lève.
Il y a une famille dans le corridor qui veut me parler, il y a quelqu'un qui appelle, il
faut répondre au téléphone.
La pagette qui sonne et tout à coup je m'assois pour écrire et là y a un de mes collègues
infirmier qui vient et qui veut juste m'interpeller et là j'étais comme...
Non!
Non!
Une réaction complètement absurde maintenant que j'y pense...
Démesurée, absurde, non professionnelle selon les standards.
Je pense qu'il ne m'avait jamais vu comme ça et moi non plus.
Et à ce moment-là je me suis dit, qu'est-ce qui se passe?
C'était vraiment, c'était tellement
minime comme demande.
Il n'y avait rien là, Mais je pense que c'était trop pour cette journée-là, c'était trop
pour cette année-là, c'était trop pour les 15 ans.
Je pense que c'était la micro-goutte qui avait fait déborder mon vase, qui était déjà
plein depuis des années.
Et on ne sait jamais c'est quoi la micro-goutte.
Ça peut être quelque chose de gros comme ça peut être quelque chose de tellement,
tellement ridicule.
Et cette journée-là, je suis sortie de là en disant :
Ça ne fonctionne plus, il va falloir que je prenne des décisions.
Ça, ça fait environ il y a cinq ans.
J'ai arrêté de faire des soins palliatifs dans les mois qui ont suivi parce que j'ai
réalisé que c'était juste trop.
...
C'est souvent insidieux, toutes les couches de sédiments qui s'accumulent, les choses
qu'on encaisse.
On parle souvent de ce qu'on appelle la fatigue de compassion.
Moi aussi, je l'ai vécue parce qu'éventuellement, l'empathie, on a des batteries
d'empathie dans notre cerveau.
À moment donné, quand la batterie d'empathie est vide, je veux dire, la compassion, on
n'est plus capable de...
d'en exprimer.
Et effectivement, moi aussi, ça m'est déjà arrivé dans le feu de l'action.
Moi, je fais entre autres aussi des soins intensifs.
C'est sûr qu'on est parfois très sollicité, le niveau de stress est augmenté.
Les enjeux sont élevés aussi quand on parle de patients avec des nouveaux soins actifs et
là, il y a des dégradations subides.
Et puis, comme tu dis, des fois, à un moment donné, c'est juste que c'en est trop.
Puis là, on déborde, on splash sur le monde.
Puis je me souviens, une fois, j'avais perdu patience puis j'étais allé m'excuser après à
l'infirmière.
Puis j'ai dit, écoute, je suis fatigué, j'avais pas dormi la nuit précédente.
Puis elle m'a remercié que je m'excuse, premièrement.
Deuxièmement, elle m'a dit que c'était tellement pas toi, je me doutais bien qu'il y avait
quelque chose en dessous de ça.
Je me suis senti chanceux d'être compris, mais je me suis dit que des fois, c'est comme ça
qu'il y a des conflits qui peuvent éclater.
Puis avec des gens qui te connaissent, avec des collègues qui te connaissent, ils savent
que tu n'as pas l'air de bien aller.
Mais avec des familles qui elles-mêmes vivent des situations difficiles ou avec un patient
qui, lui, est en état de détresse, la détresse que nous on vit, ils n'ont pas besoin de la
porter.
Je pense que les gens qui ne nous connaissent pas et qui nous voient réagir comme ça, des
fois ils comprennent pas d'où ça vient.
Ça n'arrive pas souvent, mais la fois où ça arrive, c'est la fois de trop.
C'est comme ça.
Ça m'est déjà arrivé aussi avec mes proches, en fait, qui ne sont pas dans le domaine du
soin, d'essayer de vouloir ventiler une situation, une journée, une semaine difficile,
puis de ne pas me sentir compris ou de me faire conseiller des choses, mais qui, pour moi
comme professionnel, c'est de me faire dire « Ah bien, là, tu es fatigué, va pas à ta
garde ».
Ben non.
C'est des choses comme ça qui...
J'ai connu des médecins qui ont été malades avec des infections virales, mais qui
faisaient leur tournée pareil à l'hôpital.
Alors que si on avait des patients qui arrivaient dans notre bureau avec la même
situation, dirait, ben non, ça n'a pas de bon sens.
Ben oui.
Ça m'est arrivé tellement de fois de rentrer à l'hôpital puis faire ma tournée plus malade
que les...
ben pas plus malade que les patients que je tournais, dans le temps ils étaient en soins
palliatifs, j'avais passé la nuit à l'urgence parce que moi-même j'étais malade puis il y
avait personne pour me remplacer et je suis juste sortie de l'urgence puis je suis montée
à l'étage faire ma tournée.
J'en ris maintenant, mais...
Ça n'a juste aucun sens.
Ça n'a aucun sens.
C'est...
On nous met souvent dans des situations ou on se met dans des situations où est-ce qu'on
vient à penser qu'on est irremplaçable.
Alors que j'ai vécu des pertes de collègues qui sont soit décédés de manière précoce ou
qui se sont enlevé la vie.
Puis malheureusement, la vie continue, puis le système continue
de soigner, l'hôpital continue de tourner.
Mais c'est jusqu'où on pousse le bouchon.
C'est quoi notre seuil de tolérance?
Je réalise qu'en tant que médecin, on est souvent beaucoup plus dans notre tête que dans
notre corps.
On néglige tellement nos besoins physiques, on est tellement connectés à notre tête et pas
nécessairement connectés à notre corps, au moment présent, à ce qui se passe en dedans de
nous, à nos émotions.
On est tellement dans l'action de "qu'est-ce qu'on doit faire" que...
On ne réalise pas c'est où, la limite?
C'est quand que ton corps est vraiment épuisé?
Je pense que pour plusieurs, c'est quand ils ne sont vraiment plus capables de fonctionner
qu'ils arrêtent.
On a beaucoup de médecins qui travaillent, qui sont en dépression, qui travaillent avec
des maladies chroniques sévères, mais qui continuent à pousser parce que
c'est ça qui est attendu d'eux, c'est ça qu'ils attendent d'eux-mêmes.
Et il y a cette espèce de déconnexion qui se fait pour juste survivre.
J'appelle ça le syndrome de la tête au-dessus de l'eau.
Tant que ma tête est au-dessus de l'eau, tout va bien.
Je ne sais pas ce qui se passe avec mon corps, mais tout va bien.
Puis en médecine, on est forts là-dedans.
On garde la tête au-dessus de l'eau puis on continue...
Comme tu dis, c'est des mécanismes de survie, carrément, de se dissocier, de se couper de
nos émotions.
Je parlerais même aussi de la peur de perdre notre identité parce que moi, ça a été un de
mes enjeux quand j'allais moins bien et que je n'étais plus capable d'être le médecin,
l'idéal du docteur que je m'étais construit dans ma tête.
Je me dis, je suis quoi d'autre, qu'est-ce que je peux faire d'autre?
Puis il y avait à ce moment-là un grand vide.
Et c'est fou parce que dans notre quotidien, j'ai...
Dernièrement, je parlais à une collègue, puis je vais faire le...
je vais faire un parallèle.
Je trouve que la relation avec la médecine, c'est comme être en couple avec un conjoint,
une conjointe extrêmement toxique.
Au départ, c'est le love bombing.
On est super content.
On adore la job.
On se sent utile.
On se sent invincible.
On a beaucoup de "Merci docteur, tout va bien." On est bien.
Puis, plus le temps avance, plus les choses deviennent lourdes et plus les restrictions
sont mises, plus la charge s'alourdit.
Puis, tout à coup...
On est vraiment comme un peu prisonnier dans cette relation-là.
On ne voit plus nos amis.
On n'a plus vraiment le temps pour faire des activités avec d'autre monde.
On n'a plus vraiment le temps pour faire nos hobbies.
Puis la médecine devient comme le centre de cette vie-là.
Et plus ça avance, plus l'emprise est grande.
Puis là, on commence à dire...
"Écoute, là, je ne me sens pas bien dans cette relation de couple." Puis là, on…
On se fait dire : "Ben, si ça ne va pas, c'est toi.
T'es pas un assez bon médecin, t'es pas efficace, tu ne vois pas assez de patients, t'es
pas assez dévoué, t'es paresseux.
C'est ce qu'on se fait dire par les politiciens.
Puis, comment ça?
Tu vas aller au privé, mais vraiment, t'es pas un peu un bon médecin.
Tu veux quoi?
Tu veux aller me tromper ailleurs?" Ça n'a pas de sens, là.
Ça n'a pas de sens.
Puis là, ça se referme encore plus.
Puis là, t'es pris, j'ai dit ça, mais...
800 et quelques patients, c'est comme des enfants.
Là t'es dans le couple, pis t'as des enfants, tu dis comme "Je peux pas quitter pour les
enfants, faut que je tough ça encore plus longtemps!" Pis à un certain moment, t'as plus
le droit de sortir, t'as plus le droit de faire ci, tu dois rendre des comptes à tout le
monde...
maintenant nos horaires à nous sont contrôlés, tu sais, par le « hub ».
Ils doivent tous avoir tous nos rendez-vous.
Quand est-ce qu'ils sont attribués, comment ils sont attribués.
C'est tellement invasif dans notre pratique.
Et j'en ris là, mais c'est un rire jaune, c'est juste horrible.
Dernièrement, je pense que la loi qui vient de passer, puis c'est zéro politique mon
affaire, c'est juste que j'en parle, c'est quand on te garde à la maison puis qu'on ferme
porte à double tour et on te dit "Là, t'es vraiment pris, tu ne peux plus sortir." T'as
même plus le droit de sortir tellement le fameux conjoint / conjointe est jaloux, t'es
comme pris là-dedans.
Et tu sais, qu'est-ce qu'on dirait à quelqu'un qui est pris dans une relation de couple
toxique ?
Prends tes habits, ne prends même pas ta valise, va dans un refuge, ne dis pas où est-ce
que tu es, protège-toi.
Pourtant, nous, on nous dit de subir.
Puis on nous dit de subir plus et encore plus, puis de l'accepter.
Pourquoi est-ce qu'on mérite d'être traités comme ça?
Je ne le comprends pas.
Fait que, tantôt, tu disais c'est quoi, ton identité, mais tranquillement, à travers 20
ans de pratique, il y a tellement de choses que j'aimais faire que je ne fais plus parce
que je suis trop fatiguée quand je rentre chez nous le soir.
J'ai encore des labos à vérifier ou des notes à faire.
Il y a une garde de plus le week-end.
Il y a des patients de plus qui appellent, que je dois voir en ajout en fin de journée,
fait que je rentre plus tard chez nous, que j'en ai plus d'énergie pour faire les choses
que j'aime.
Finalement, ma seule identité, ça devient l'identité de médecin, puis t'es pris dans cette
espèce de relation toxique, puis tu l'aimes encore, entre guillemets.
Tu dis, ouais, ouais, mais je l'aime encore, je peux pas quitter.
C'est vraiment ça, hein?
Ouais.
On parle de faire le parallèle avec le contrôle coercitif, le gaslighting, de se faire
dire, bien, c'est dans ta tête, tu imagines des choses.
Puis, effectivement, parce qu'on les aime, nos patients.
Moi, je les aime, mes patients, on s'attache.
Tu sais, ça va bientôt faire 8 ans de pratique.
Mais déjà, j'ai des patients que je suis depuis longtemps, je suis convaincu que...
comme médecin de famille, tu en as accompagnés dans plein d'événements de vie.
Non seulement, oui, c'est gratifiant, comme tu dis, on surfe un peu peut-être là-dessus au
début, mais moi, c'est porteur de sens aussi.
C'est ça qui est difficile comme paradoxe parce que ce qui m'épuise le plus, c'est en même
temps une des choses qui me nourrit
le plus, c'est de connecter avec les patients, les familles.
Quand je suis capable de prendre un pas de recul, de m'arrêter et me dire « hey, regarde
comment tu fais un beau métier et qu'on est chanceux, on est privilégié d'avoir cette
relation-là intime avec les gens.
»
Puis après ça, l'épuisement revient, puis la fatigue revient, puis comme tu dis, ça prend,
c'est envahissant.
Oui, puis dernièrement, je parlais à justement, il y a une de mes collègues qui avait lu
le post puis qui est venue me voir dans le corridor en disant, «Es-tu correcte?
Je suis inquiète pour toi.» Au jour le jour, je suis bien.
Quand je suis dans mon bureau one on one avec mes patients, je vais très bien.
J'adore être là, j'adore aider le monde, j'adore le travail intellectuel de trouver la
solution au problème.
J'adore
l'espèce de suivi longitudinal où tu comprends l'histoire de la vie des gens puis tu sais
que tu fais partie de cette histoire-là parce qu'ils te confient plein de choses puis tu
es capable de les aider à des moments critiques où ils viennent te dire des choses en
disant je te fais confiance, je te confie ça, qu'est-ce que je fais avec.
Fait que ça, ça va bien, mais c'est quand tu sors de tout ça et que tu vois le tout, comme
la somme est beaucoup plus grosse que
l'addition de tous ces petits morceaux-là, c'est les formulaires, c'est le «tu dois en
faire plus avec moins», c'est «tu rentres chez vous, t'écoutes la radio puis t'entends des
bêtises sur ta profession».
C'est «tu rentres chez vous puis tes enfants comprennent pas à quel point tu peux être
vidé de ta journée puis que t'as plus rien à donner».
Ça vient souvent avec beaucoup de culpabilité, ce que tu nommes.
Parce que justement des fois j'ai eu l'impression que j'étais même pas en mesure de donner
à mes proches ce qu'ils méritent, tu sais, puis que la qualité de mes relations...
s'est dégradée.
Je suis désolée.
C'est...
veux-tu comprendre une petite pause ?
Je pense que c'est ça le plus difficile au fond.
C'est de ne pas être capable de donner à ceux qui sont le plus important pour nous.
entre autres, nous-mêmes.
C'est vider sa batterie d'empathie, vider sa batterie d'énergie avant de rentrer à la
maison, de ne plus en avoir pour la maison.
Mais ça va quand même bien !
Comme tu dis, il faut penser à nous-mêmes là-dedans.
Je pense que ça prend un sain égoïsme dans le sens que si on n'est pas capable de prendre
soin de nous, on ne sera plus capable de prendre soin des autres autour de nous.
Tu sais, j'appelle ça l'hypocrisie médicale.
Tu sais, on est tellement bon pour donner les bons conseils à nos patients.
Tu sais, on le disait tantôt.
On sait quels conseils donner, on sait techniquement quoi faire.
Mais quand on est dans le tourbillon du travail, quand on est dans le tourbillon de la
profession, ces conseils-là, ils disparaissent, ils sont pas là.
Et quand c'est le temps de vouloir les mettre en place, on n'a plus le temps ni l'énergie
de le faire.
Et c'est ça qui est vraiment dommage.
C'est ça.
Ça me fait penser que quand j'allais moins bien, il y avait des ressources.
Je les connaissais, mais je n'étais pas à mesure de les mobiliser.
Ce n'est pas un problème de connaissances parce qu'on enseigne nous-même à nos patients
comment prendre soin d'eux.
L'enjeu n'est pas là.
Il n'est pas dans l'accessibilité tant que ça aux ressources parce que...
Comme médecin, on est quand privilégié.
On a des bons salaires, on peut se payer de l'aide psychologique.
Des fois, les seules ressources qui nous apparaissent disponibles, on n'est même pas
capable d'aller les chercher parce qu'on n'a plus, comme tu dis, de temps.
On a l'impression qu'on n'a plus de temps et on n'a plus d'énergie.
C'est comme un cercle vicieux, le plus tu es fatigué, le plus tu es épuisé mentalement, le
moins tu es efficace, au fond.
Fait que le plus tout devient laborieux, puis le plus ça prend de temps, puis le moins tu
as de temps pour t'occuper de toi, et le moins tu t'occupes de toi, le plus tu es épuisé,
le plus tu manques d'énergie et de temps.
C'est comme à certains moments, il faut couper ça.
Puis tantôt tu disais « on a des bons…
des bons salaires, on a la possibilité », mais il y a plein de gens autour de moi que
c'est des mamans monoparentales qui ne peuvent pas travailler autant que dans un couple ou
qui ont des enfants à besoins particuliers, qui ne peuvent pas travailler de longues
heures, puis qui n'ont pas...
Les gens ne le savent pas qu'on n'a pas d'assurance, on n'a pas une couverture
d'assurance, on n'a pas...
S'il y a une necessité, on n'a pas ça, on n'a pas ça.
Au fond, c'est tout autofinancé.
Pour certains, ça va bien et c'est génial.
Je ne me plains pas, je ne me compare pas.
Pour d'autres, c'est quand même des enjeux.
Ce n'est pas tout le monde qui roule sur l'or.
Ce n'est pas tout le monde qui est capable de travailler à temps plein et d'avoir les
mêmes ressources.
Souvent, justement, on a cette image.
On parlait du mythe du médecin qui est
le super médecin qui est toujours fait fort, puis qui n'a pas d'émotions, puis qui
fonctionne.
Il y a aussi le...
le mythe du médecin hyper-travaillant qui gagne super bien sa vie, qui peut tout se
permettre dans la vie.
Puis c'est pas vrai pour tout le monde.
Si je peux...
Moi, je le vois autour de moi que moi, je me sens privilégiée, mais j'ai d'autres
collègues qui, pour des raisons de santé ou des enfants à besoins particuliers ou des
drames dans leur famille,
elles sont dans des positions de vulnérabilité aussi.
Et ça aussi, on n'en parle pas beaucoup.
On est aussi des humains.
On vit aussi des séparations, on vit aussi des maladies d'enfants, on vit aussi la
génération sandwich d'être pris entre des parents malades et des enfants qui ont des
besoins.
On ne peut pas être ultra performants tout le temps juste parce qu'on a le titre de
médecin.
On est médecin mais humain puis souvent on a rapidement tendance à l'oublier.
...
Fait que...
Ça fait partie un peu, je trouve, de la culpabilité de demander de l'aide ou de s'avouer
vulnérable parce que, comme tu dis, des fois on entend des choses à la télévision, à la
radio, on lit des choses sur les réseaux sociaux, puis on essaie de se forger une
carapace, mais à un moment donné, quand toi tu sais que t'as donné tout ce que tu avais à
donner et plus, puis que là...
On te dit que tu n'as pas encore assez donné, que tu es paresseux, tu profites du système,
etc.
Ça vient avec la culpabilité de se dire que mes autres collègues aussi sont dans la même
situation.
Si je ralentis, eux vont devoir en faire plus.
C'est moi qui vais se faire traiter de paresseux.
Eux, vont s'épuiser encore plus.
Plus, oui !
Où est la fin de ça?
C'est de la culpabilité par rapport aux patients, c'est de la culpabilité par rapport aux
collègues, c'est de la culpabilité par rapport à nos familles, nos conjoints, etc.
C'est une culpabilité qui commence puis qui n'arrête pas.
Des fois après ça, c'est de la culpabilité envers nous.
Est-ce je prends assez bien soin de moi, de ma santé?
On a plein de collègues qui tombent malades puis...
et tu te dis écoute, cordonnier mal chaussé, tu dis qu'est-ce que tu as fait pour prendre
soin de toi?
Tu avais des symptômes, tu les as négligés, c'est quoi?
Mais c'est juste encore là cette espèce de culpabilité.
On se met des œillères puis on continue, on avance.
Je ne sais pas qu'est-ce que ça va prendre pour changer cette culture-là, sincèrement.
Je pense que ton projet, c'est super beau
pour sensibiliser les gens.
Tu parlais d'avoir des stratégies ou peut-être des pensées sur ce sont quoi les
possibilités pour que les choses aillent mieux.
Des fois, je suis pleine d'espoir, puis j'ai plein d'idées, puis des fois, je suis comme
pleine de désespoir en me disant, on va droit dans le mur, je vois pas comment les choses
pourraient changer.
Je regarde un peu partout dans...
dans le monde, l'épuisement professionnel des travailleurs de la santé, c'est pas juste
ici, c'est partout.
Il y a ce livre que je lis actuellement d'un médecin des États-Unis, puis c'est quelque
chose de...
Ils montraient des statistiques, c'est super prévalent là-bas aussi.
Et puis là-bas, c'est pas nécessairement des systèmes, entre guillemets, publics, c'est
des corporations.
Je regardais dans les nouvelles en France, les médecins se plaignent de la même chose
ailleurs.
C'est comme un espèce de mouvement généralisé.
Tu te poses la question si c'est une expérience commune partout dans le monde.
C'est quoi la solution?
Est-ce que c'est juste comme ça, puis ça va rester comme ça?
Qu'est-ce qu'on peut faire individuellement, puis à notre échelle à nous, à l'échelle du
Québec, puis à l'échelle partout ailleurs pour préserver cette profession, pour préserver
les soignants?
Je ne le sais pas.
Est-ce que toi tu sais s'il y a des endroits dans le monde où les soignants sont comme top
notch, la vie va bien, puis ils pètent la forme, puis ils sont heureux?
je ne peux pas te dire que je suis tombé sur des merveilles d'utopie, malheureusement.
Je pense que tu nommes exactement la réalité que j'appellerais le trauma de soigner.
Ce n'est pas juste les individus, leur résilience individuelle, l'organisation, la
communauté, le système dans lequel on travaille.
C'est juste l'acte...
de soigner, tu sais.
Soigner, c'est donner une partie de soi par définition.
Puis je pense que les personnes qui s'intéressent à ça, comme tu dis, on a des
personnalités qui se rejoignent sur plusieurs aspects et donc probablement des fragilités
similaires aussi.
Je pense qu'il y a plusieurs manières d'approcher ça.
Une de ces façons-là,
qu'on voit souvent, malheureusement, c'est le cynisme.
Puis c'est parfois facile de se laisser contaminer par le cynisme.
J'ai déjà été cynique, j'ai déjà eu des collègues qui ont été cyniques, puis ça contamine
finalement des fois l'esprit du groupe, puis ça contribue souvent à un désengagement.
Puis à un moment donné, quand on est
tous et toutes en mode survie, bien, on se replie sur nous-mêmes.
À un moment donné, il faut se protéger, puis le reste passera à côté.
Je pense que, tu sais, oui, oui, c'est quelque chose qui a l'air d'être très global, mais
je pense que la solution, il faut repartir de la base, c'est-à-dire de nous.
Puis, tu sais, on contrôle ce qu'on peut contrôler.
On se contrôle soi-même, on contrôle nos perceptions des choses.
On ne contrôle pas toujours les situations, on ne contrôle pas les gens autour de nous.
Maintenant, c'est un peu ça ma vision, c'est que j'essaie d'agir sur ce sur quoi j'ai du
pouvoir.
Puis j'ai du pouvoir sur moi-même, j'ai du pouvoir sur la perception que j'ai des
difficultés.
Les difficultés que j'ai traversées, Jean-Marie Lapointe appelait ça les cadeaux mal
emballés de la vie.
Puis je trouve que c'est tellement une belle image parce que là maintenant, je regarde ça
avec le recul puis je me dis, effectivement, ça fait de moi une personne plus résiliente,
plus complète, plus équilibrée.
Je peux pas dire que ça s'est fait sans douleur.
Et à un certain moment, j'étais à une conférence super intéressante.
C'est dans mes années, soins palliatifs, il y avait cet espèce de...
C'est en anglais, ils appellent ça un hospice, mais c'est pas un hospice en français.
C'est comme une maison de soins palliatifs bouddhistes à San Francisco.
Il y avait ce maître bouddhiste qui donnait une conférence sur l'approche, le mot blessing
en anglais et le mot blessure en français avaient la même source étymologique.
Il disait que sans blessure, sans être fragmenté, sans qu'il y ait de craques, qu'il n'y a
pas de lumière qui peut rentrer.
Et il disait que
de recevoir du blessings, donc tout ce qui était de ces dons de la vie, il fallait qu'il y
ait des blessures.
Et moi, je trouvais ça super beau de le voir de cette manière-là, de dire que c'est à
travers ces craques-là que la lumière passe, tu sais.
C'est à travers ces espèces de blessures-là qu'on apprend, qu'on grandit puis qu'on
guérit.
Ouais.
On ne peut pas guérir quand il n'y a pas de blessure.
Je trouve que d'évoluer dans ce domaine-là, nous permet de constater la chance qu'on a de
pouvoir soigner.
C'est ça la dualité, c'est difficile.
Ça vient nous heurter, nous blesser.
Mais en même temps, il y a une raison pour laquelle on continue.
On parlait de sens au début.
Je ramènerais ça peut-être à la spiritualité au sens large du terme.
Puis pour moi, cette spiritualité-là, elle est venue de la connexion, d'être capable de
prendre un moment d'arrêt, de vivre le moment présent,
pour vrai.
Parce que je me faisais parler du moment présent, puis je roulais des yeux, puis là,
c'était un peu trop Kumbaya pour moi.
Mais alors que finalement, quand c'est authentique, quand on est vulnérable, bien, c'est
là que c'est le plus beau, puis ça donne le plus, puis là, ça donne le goût de continuer,
puis ça valide tellement.
Puis je me dis, bien, oui, ça en vaut la peine.
Et ça revient vraiment rejoindre ce que je te disais tantôt, quand je suis avec un patient
one on one dans mon bureau, puis qu'il y a une connexion, puis qu'il y a un échange, puis
que c'est authentique, puis qu'on voit qu'il y a un potentiel d'amélioration, qu'il y a
des choses qui se passent, qu'on...
que mon patient et moi, on voit de l'espoir, tu sais.
On voit une solution, on voit...
À ce moment-là, il n'y en a pas de problème.
Tout est bien, hein?
C'est...
Et c'est là
qui est la beauté de ce qu'on fait.
C'est à ce moment-là qu'il y a la petite magie qui nous donne le goût de continuer.
Et je pense que c'est l'instant présent, c'est d'être présent dans la salle de
consultation, c'est d'être présent puis d'écouter ce que le patient nous dit, d'être
présent puis de penser à comment on peut aider.
C'est vraiment cette présence-là qui fait la différence.
Et je pense que cette présence-là, quand le patient quitte,
c'est comme s'il y avait une petite magie qui disparaissait, parce que tout à coup, cette
présence s'en va, puis tous les petits irritants ressortent.
Le patient est pas là, je dois faire les dossiers.
Le patient est pas là, je dois regarder tous les labos qui rentrent.
Et c'est pas tout aussi évident d'avoir de la présence avec ce genre de tâches-là, tu
sais?
Et, ouais.
Donc, c'est comment cultiver la présence, comment cultiver la magie, même quand on fait
des tâches
répétitives, pas toujours agréables, et compliquées, complexes, et infinies qui se
répètent.
Je pense que c'est...
Comment est-ce qu'on cultive ça, je le sais pas.
L'image que je donne souvent, c'est qu'on parle souvent "des" docteurs, puis "mon"
docteur, ou "les" patients, puis "mon" patient.
L'expérience humaine de connexion d'une personne à une autre, c'est là je pense qu'il y a
le plus de valeur, effectivement, mais c'est essayer de conserver cette valeur-là, cette
énergie-là,
en dehors de cette relation-là.
C'est ça, souvent, qui est difficile.
Je suis tout à fait d'accord, ouais.
Ce qui m'amène un peu à toucher au sujet des solutions.
Toi, qu'est-ce que tu verrais pour commencer à amorcer un changement?
Écoute, c'est...
tu parlais d'un changement qui commence par soi, puis je suis à 1000 % d'accord avec toi.
Moi, je travaille beaucoup.
J'ai beaucoup beaucoup travaillé, pendant la pandémie.
J'ai vécu des moments extrêmement...
Mais pas pendant la pandémie, mais plus après la pandémie.
Des moments extrêmement difficiles.
Puis j'ai pris des grosses décisions de moduler ma pratique pour qu'elle soit à l'image de
ce que je suis comme...
comme personne, pas que ça corresponde pas à mes besoins de manière égocentrique, mais que
je puisse donner le meilleur de moi-même puis de continuer dans cette voie.
Et je pense que si chaque médecin pouvait moduler sa pratique et donner le meilleur de
lui-même, au lieu d'être contraint à exercer certaines pratiques, avoir un certain nombre
de patients, travailler un nombre...
Tu sais, c'est...
c'est si on pouvait apporter des solutions personnalisées et que chacun pouvait, de
manière très créative, offrir les choses qui ont de la valeur ajoutée que lui, comme
humain, peut donner comme valeur ajoutée, il y en aurait beaucoup moins de détresse des
soignants.
On parlait tout à l'heure de coercition.
Je pense qu'on ne peut malheureusement pas changer la manière dont le système de santé est
géré pour l'instant.
Mais si, si...
puis dans un monde utopique, on avait notre mot à dire sur comment on voulait pratiquer,
dans quelles conditions on voulait pratiquer, qu'est-ce qu'on pouvait offrir de meilleur
de nos connaissances, de nos compétences, si on pouvait exercer dans un milieu
géographique, où on était proche de notre réseau de soutien.
Je pense qu'il y aurait des micro poches de bonheur.
Hmm.
Et de même manière que le cynisme est contagieux, moi je crois aussi que le bonheur est
contagieux.
Travailler avec des collègues qui sont heureux, propage le bonheur.
Je dis toujours, moi, dans ma clinique, malgré tout ce qui se passe, mon bonheur c'est mes
patients, mon bonheur c'est, j'appelle ça ma deuxième famille, c'est mes collègues.
Juste les voir, les voir sourire dans le corridor, apporte ça.
Et donc c'est de cultiver ce petit bonheur individuel, puis...
de le passer au prochain, de le passer à notre entourage, à notre environnement.
Ce serait ça les solutions.
De manière plus gérée à grande échelle, ça serait quoi?
Ce serait d'abolir toutes ces espèces de cloisonnements et de restrictions qu'on fait avec
toutes ces lois et toutes ces espèces de contraintes, après contraintes, après
contraintes...
Je pense que ça finirait par s'équilibrer, que les gens travailleraient dans les milieux
qui leur conviendraient, qu'il y aurait plus de fluidité, puis que les gens prendraient...
en charge leurs patients avec beaucoup plus de plaisir ou beaucoup plus de disponibilité
s'ils pouvaient faire ce qu'ils aiment le mieux faire.
En réalité, c'est comme ça que je le vois.
Il y a une solution qui ne vient pas de moi, il y a la solution dans le livre, je t'en
avais parlé, le livre qui s'appelle GAIN.
C'est vraiment fou, je n'ai pas fini le livre, mais vraiment l'acronyme GAIN ou GAIN en
français.
C'est un acronyme de ce médecin-là qui est vraiment très porteur de sens.
Lui, il dit si on veut rester...
bien en dedans, malgré tout ce qui se passe à l'extérieur.
Le G, c'est pour la gratitude.
Le A, c'est pour l'acceptation.
L'acceptation de ce qui est.
Souvent, je dis à mes patients accepter, ça ne veut pas dire approuver.
C'est juste accepter ce qui est pour pouvoir aller de l'avant, puis soit changer ce qu'on
peut ou accepter ce qu'on ne pas changer.
Il parlait de I qui est vraiment
dans l'intention.
C'est quoi ton intention?
Comment est-ce tu commences ta journée?
Est-ce que ton intention c'est d'être bien?
Est-ce que ton intention c'est de faire du bien?
Est-ce que ton intention c'est vraiment cool?
Puis le N, c'est le non-jugement.
Fait que je pense que le cynisme vient aussi beaucoup du jugement.
On est beaucoup dans le jugement de ce qui va pas, de ce qui pourrait être, du patient qui
arrive en retard, de notre collègue qui n'a pas fait ça ou de...
Alors ça serait l'espèce de petite pratique quotidienne qu'on pourrait tous faire pour se
nous sentir mieux.
C'est ce qu'on appelle aussi la cohérence, ce que je suis, ce que je pense, ce que je
dis...
est tout aligné.
Ça rejoint un peu ce que je disais, qu'on contrôle, ce qu'on peut contrôler, puis on se
contrôle soi-même.
Je pense que ce que tu nommé, c'est le genre d'exercice qu'on devrait tous et toutes
prendre l'habitude de faire.
Je dis souvent que la motivation vient après l'action et non pas le contraire.
Des fois, c'est de commencer un comportement.
On commence petit, on commence quelque part et éventuellement, ça contamine et on se sent
mieux.
Donc, on continue, ça nous motive.
C'est une très bonne solution, je pense.
Le problème est multifactoriel, donc la réponse va nécessairement être multifactorielle.
Je ne suis pas naïf qu'effectivement, on ne changera pas notre partenaire de vie toxique
qui est notre système.
Mais pour reprendre cette analogie-là, je pense que de se regrouper entre soignantes,
entre soignants, de partager
cette expérience-là ensemble.
Je pense que ça pourrait aussi faire partie de la solution.
Je ne parle pas de nos syndicats, de nos fédérations.
Je parle en fait de quelque chose qui nous connecte plus finalement sur ce qui est commun
entre tout le monde, c'est-à-dire notre humanité.
Absolument.
Notre humanité et notre vécu partagé.
On a parlé du post et qu'est-ce que ça a généré.
Juste de réaliser que c'est vraiment tout le monde qui partage cette humanité et cette
expérience partagée.
...
Quand on est capable de se connecter, quand on est capable de se donner et de donner aux
autres la compassion tout à coup, on se sent plus léger.
Mmh.
Comme tu dis, la résilience, c'est un peu ça aussi.
Ce n'est pas de la résignation.
C'est d'accepter, de changer ce qu'on peut changer et de percevoir avec gratitude, avec
intention, sans jugement.
Je pense que c'est très beau, effectivement.
Si tu avais cette fameuse baguette magique dont on rêve tous et toutes,
qu'est-ce que tu changerais pour qu'on atteigne ça?
Je pense que la baguette magique ça ferait appel à l'humanité
des preneurs de décision.
...
De réaliser que, on parlait de l'humanité qui nous rejoint.
Ces gens-là un jour vont être malades ou ces gens-là un jour vont avoir des membres de
leur famille qui vont être malades.
Ils vont avoir l'expérience d'être soignés et ils vont avoir des soins de soignants qui
peut-être eux-mêmes sont souffrants et de réaliser qu'ils peuvent
faire partie du soulagement des soignants ou de la souffrance des soignants, en prenant
des décisions.
C'est d'aller au-delà des décisions économiques.
Je comprends qu'il y a un besoin d'un pragmatisme, mais de réaliser que dans un système de
santé malade, les soignants deviennent malades et ont du mal à soigner.
Mmh.
Donc, si j'avais une baguette magique, j'aiderais les décideurs à soigner le système
malade pour que les soignants soient plus en forme pour continuer à soigner.
Je pense que c'est comme ça que je le verrais.
Ce que tu dis me fait penser que quand j'ai été dans la position de la personne soignée,
quand j'ai été un patient, quand j'étais malade, la façon dont j'ai été traité, les mots
qui m'ont été dit, comment je me suis senti, comment j'ai été perçu, autant négativement
que positivement à l'occasion, ça
a construit finalement une nouvelle version du soignant que je suis maintenant.
Effectivement, ça m'a reconnecté à cette humanité-là que j'avais un peu égarée, mais qui
est toujours là.
Je pense que, comme tu dis, de réussir à aller mobiliser cette humanité-là, je pense qu'on
a plus
à gagner, à collaborer, qu'à toujours rester sur des dynamiques de confrontation et de
conflits.
C'est vraiment drôle que tu parles de baguette magique, sais-tu pourquoi?
...
Dans mon cynisme, non.
Moi quand je vis des grosses émotions, il faut que ça passe par un processus un peu
créatif.
Fait que j'écris, mais fais aussi, je fais du design, des choses graphiques puis des trucs
comme ça.
Fait que là j'ai fait un espèce de truc vraiment cute.
Je l'ai porté spécialement pour ça.
Veux-tu le voir?
Ben oui!
Le bas du t-shirt, je ne pourrais pas le montrer si haut que ça, mais ça dit «Médecin, pas
magicien, on ne peut pas faire plus avec moins ».
Ouais.
L'idée, c'est encore là, je pense que quand ça ne va pas, on peut se morfondre, on peut
chialer, on peut critiquer, on peut tomber dans le jugement ou on peut avoir l'intention
de mobiliser les gens, l'intention de les reconnecter, tu sais.
Et je pense que ce genre de joke un peu plate, ça fait penser, ça fait réfléchir les gens,
puis ça les reconnecte au fait qu'eux aussi peuvent pas faire plus avec moins, puis c'est
vraiment ça.
J'en ai pas de baguette magique malheureusement.
Au-delà du message, ça me rejoint la créativité, effectivement, parce que quand on est en
mode créatif, on est en contrôle finalement.
On laisse aller une partie de notre cerveau qui a aussi besoin de s'exprimer et de créer
quelque chose d'original.
Peu importe le médium, je pense que ça peut tout à fait être bénéfique.
Ouais, super.
Mon avant dernière question pour toi, on a plusieurs soignantes, plusieurs soignants qui
écoutent ce balado, des proches, qu'est-ce que tu aimerais leur dire?
De se faire confiance, de s'écouter.
De prendre soin d'eux comme ils prennent soin des autres ou encore mieux, de savoir dire
oui mais surtout de savoir dire non.
Et dans des moments de doute de se rappeler pourquoi ils ont fait ce choix.
Des fois, on perd de vue qu'est-ce qui nous a amené à choisir notre profession, notre
travail, nos collègues, etc.
Et on perd tellement ça de vue qu'on
se sent perdu.
Et puis ma dernière question qui rejoint un peu ce dont on vient de parler.
Si tu pouvais parler à une version de toi-même, début vingtaine, dans notre grande
naïveté, début de carrière, d'étude, qu'est-ce que tu aurais aimé te dire ou qu'est-ce que
tu aurais aimé comprendre avant?
Tu te mettrais en garde de quoi?
Je m'étais écrit un super long texte justement sur ça à un certain moment, c'est comme une
lettre à moi-même quand j'avais 20 ans.
Elle est vraiment longue.
Mais en quelques mots, c'est de réaliser que le doute va toujours être là, peu importe les
choix qu'on fait.
Mais qu'il n'y a jamais de hasard que la voie qu'on prend, c'est la voie qui nous
rapproche de notre essence.
Fait qu'il n'y a pas de ligne droite.
Il y a plein de...
Je dirais, c'est un peu comme un road trip qui est très long.
Des fois, on va à 120 à l'heure, puis des fois...
on arrive à Montréal, puis il y a des cônes oranges, puis la circulation est déviée, puis
des fois on est sur une route à 30, puis il y a des bosses et puis des dos d'ânes, mais on
finit par arriver là où on est censé arriver.
Tu sais, l'objectif de la vie, c'était de me rapprocher de mon essence, puis qu'on a
tellement de doutes, tellement de questionnements, tellement de stress qu'on s'inflige en
se posant la question, est-ce que je fais la bonne affaire, est-ce que
je m'en vais dans la bonne direction?
Mais même s'il y a des sorties de route, le trajet peut être un peu plus long, mais on se
retrouve.
Je dirais à ma jeune de 20 ans que peu importe les choix que tu fais, tu arriveras à
destination.
Qu'elle est super courageuse de juste persévérer puis de foncer puis de faire ce qu'elle
aime.
De profiter de la route aussi, d'être capable de ralentir assez pour profiter de ce
chemin-là, de cette route-là pendant qu'on est dedans, parce que mon Dieu que ça passe
vite!
Des fois, c'est du 120, mais des fois, c'est...
Mais... puis des fois, on a le goût, hein, on a le goût d'aller plus vite que ça, on a le
goût de dépasser la limite de
vitesse. Mais en même temps, on va arriver à la même destination, tu
sais.
C'est... Je suis d'accord, profiter de la route à chaque
instant.
Hmm.
Merci énormément pour la très belle discussion.
Ça m'a touché.
Je suis convaincu que plusieurs personnes vont se reconnaître dans ton témoignage.
Je te remercie pour ta générosité et ton authenticité.
Je te remercie de m'avoir contactée.
On ne se serait jamais vraiment rencontré ou parlé si tu l'avais pas fait.
Je te remercie de ton invitation et de tes questions qui m'ont fait réfléchir à des choses
que je n'aurais peut-être pas spontanément pensé ou réfléchi.
Merci pour ton invitation, j'apprécie.
Avec plaisir, puis je suis certain qu'on aura l'occasion de se reparler.
À bientôt.
À une prochaine!
Bye bye!
Créateurs et invités
