Épisode 0.12 : Tous les maillons du soin gardent une empreinte – Catherine de Ravinel, Laetitia Jourdan et Pantxika Ostiz, infirmières en oncologie

Imaginez un préposé aux bénéficiaires qui a eu un décès dans sa journée.

L'infirmière va rentrer dans la chambre, va faire quelques soins.

Le préposé, c'est lui qui va s'occuper du corps de la personne.

Est-ce que quelqu'un,

un quart de seconde, va lui demander comment il va après ?

puis après ça, c'est la tournée des repas.

Mais il n'y a pas eu de temps entre les deux moments pour qu'il se dépose.

Qui se soucie de leur douleur et de leur peine?

Bonjour et bienvenue à "Soigner jusqu'à se briser".

Je m'appelle Steven Palanchuck, puis aujourd'hui pour ce 12e épisode hors série, j'ai eu
le plaisir de m'entretenir avec trois infirmières ayant de l'expérience en oncologie et en

soins palliatifs.

Elles se sont d'abord rencontrées dans un contexte professionnel, mais elles se sont vite
rendues compte à quel point elles avaient des choses en commun, notamment leur exposition

à la souffrance émotionnelle, aux maladies graves,

puis finalement avec le contact presque quotidien avec la mort.

Sur un même étage, dans la même journée, elles devaient à la fois prendre soin de patients
qui étaient au tout début de leur parcours de maladie, puis aussi finalement d'un autre

côté du corridor à la toute fin.

Quand on n'a pas d'endroit pour déposer toute cette charge émotionnelle-là, c'est souvent
des choses qui vont avoir tendance à s'accumuler.

C'est ce qui les a motivées à démarrer un projet que je trouve vraiment très inspirant.

Un recueil de plusieurs témoignages de 14 soignantes et soignants qui visent à lever des
tabous, à montrer l'envers du décor, puis finalement à pouvoir créer un endroit

sécuritaire sur leur unité où tout le monde sera le bienvenu pour venir déposer ce qui les
habite, puis finalement se donner des raisons de pouvoir continuer encore.

Je trouve ça intéressant d'entendre des points de vue complémentaires aux opinions
médicales.

Je trouve que la vision des soins infirmiers est nécessaire dans notre domaine, qu'on
devrait prendre le temps de l'écouter davantage.

Puis je pense que ces trois infirmières en sont un parfait exemple.

Donc j'espère que vous allez apprécier cet épisode.

Et puis sur ce, je vous laisse avec Laetitia, Pantxika et Catherine.

Première question ouverte pour vous.

Je voulais savoir pourquoi vous avez accepté de participer à ce projet de balado?

Je vais peut-être commencer.

D'abord, merci pour l'invitation.

Très contente de pouvoir participer.

Personnellement, depuis deux ans et demi maintenant, je travaille sur un projet d'écriture
sur la souffrance des soignants en oncologie.

Donc cette souffrance liée au fait d'être confrontés à la mort régulièrement.

Et puis j'ai avec moi déjà deux personnes qui sont avec nous dans ce projet et 13 autres
qui

ont embarqué dans l'aventure de l'écriture pour témoigner et mettre en lumière ce qu'on
peut vivre dans notre réalité.

Donc c'est une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de participer parce que ton projet
raisonnait avec le mien en fait.

Puis une deuxième raison c'est simplement que j'ai décidé d'arrêter, de m'éloigner de
l'oncologie parce que c'était trop difficile pour moi de poursuivre ma carrière dans cette

voie-là.

Donc je pense que c'était important

d'arrêter et puis de prendre soin de mes collègues.

Voilà.

Comme Laetitia l'a dit, c'est que le projet est parti d'elle.

Nous, ça fait 20 ans qu'on se connaît, puisqu'on s'est connues en travaillant sur notre
lieu de travail quand on est arrivées il y a 20 ans au Québec.

Et c'est vrai qu'elle a mis le doigt, je pense, en voulant parler de cette
problématique-là, de la souffrance des soignants, je pense qu'elle a mis le doigt sur

quelque chose qui...

Chacune de notre côté, on avait peut-être des douleurs ou on traînait des choses sans trop
s'en rendre compte.

Et à travers son projet, on s'est rendue compte qu'on avait des douleurs qui pouvaient
être communes ou qui pouvaient se regrouper sous ce même projet-là.

Et c'est pour ça qu'on a été autant embarqués.

Et puis je pense que participer à ce balado fait partie du projet et était totalement en
accord

avec le projet qu'elle a commencé à mener.

Je vous dirais que ce qui m'a interpellée dans le projet de Laetitia, c'est la notion
vraiment de souffrance au niveau des soignants, particulièrement dans une spécialité,

l'oncologie, comme dans toutes les spécialités, je le sens particulièrement l'oncologie,
où l'humain, la souffrance, l'espérance

sont vraiment au cœur de notre travail.

Et j'ajouterais aussi à ça, c'est peut-être inusité, mais la portion communication,
écriture, bâtir un projet...

mais la portion écriture m'a vraiment interpellée.

Ce que vous soulevez et qui a été souvent discuté par d'autres invités, c'est la solitude
qui vient avec la souffrance chez les soignants.

C'est une expérience qui est souvent vécue très individuellement pour plusieurs raisons,
mais alors qu'on est tellement de personnes à vivre les mêmes choses, à subir, à être

exposés à des situations semblables.

On dirait que bien souvent, ça fait partie du métier de vivre des situations difficiles.

On le sait quand on commence sa carrière, mais on ne sait pas à quel point on va être
confronté à ça.

Comme ça fait partie, on n'ose peut-être pas, des fois, en parler et le dire parce qu'on
se dit peut-être que je n'ai pas les outils nécessaires ou je n'ai pas su gérer telle ou

telle situation.

Donc, j'entendais dans votre balado dernièrement, un épisode qui parlait beaucoup de
balayer sous le tapis, puis on fait comme si ça n'existait pas, en fait.

C'est comme si être vulnérable, c'était de la faiblesse.

C'était perçu comme une faiblesse.

On va se réconforter entre nous rapidement, mais c'est pas quelque chose qu'on va étaler
forcément.

pense que c'est quelque chose qui n'est pas dit qu'on peut souffrir dans notre métier.

Parce que bien souvent c'est un métier qu'on a choisi, donc avec peut-être une idée de ce
qu'est le métier.

Puis la souffrance, elle vient aussi du fait de se rendre compte que c'est pas vraiment ce
à quoi on s'attendait.

Donc il y a de la déception d'une part, mais même dans une formation.

Moi, je me souviens, j'ai fait ma formation en France,

mais souvent on me disait tes problèmes personnels, donc ceux qui viennent de l'extérieur,
tu les laisses dans ton casier et tu arrives.

Et donc on fait ça pour tout, en fait.

Donc ce n'est pas enseigné que ça peut être...

C'est pas dit, c'est pas verbalisé.

Je pense qu'on commence maintenant, comme dans tous les métiers d'accompagnement, que ce
soit celui de la santé, mais de l'éducation

ou même au niveau de la DPJ, de dire mais vous pouvez vous aussi être en souffrance parce
que ça va chercher l'humain et la douleur et toutes les souffrances humaines et de dire,

ça peut être difficile...

On commence à en parler, mais je trouve que ça serait tellement quelque chose de très
positif en fait de dire que ça peut être difficile et pour pouvoir mettre des choses en

place après pour pouvoir

s'aider et s'entraider les uns les autres en fait.

C'est vrai qu'on n'en parle pas tellement, ça fait très peu partie d'un cursus de
formation.

Par contre, on se rend compte assez rapidement que c'est là, que c'est présent autant pour
nous que pour les autres.

mais officiellement, c'est un peu...

c'est mis en dessous du tapis.

Après, je veux dire, il y a beaucoup de gestes de solidarité, de reconnaissance de la
souffrance vraiment à très, très petite échelle.

Et j'aurais envie d'ajouter que là, j'ai vraiment des exemples particuliers qui me
viennent en tête.

Mes collègues soignants et soignantes dont j'ai vu la souffrance dans des moments très
spécifiques...

Pour moi, ça les rendait juste plus humains.

Quand j'étais témoin, bien malgré moi, de cette souffrance-là, pour moi, ça attachait un
fil de plus dans le lien qui nous unissait déjà.

Puis oui, dans un sens, je voyais ça comme de la vulnérabilité, mais je voyais ça d'abord
et avant tout comme de l'humanité.

C'est de la vérité, les choses sont vraies.

On omet un peu la déception.

On parle souvent de vocation dans notre domaine.

C'est quelque chose de soigner, c'est tellement décrit comme une expérience noble, qui est
plus grande que soi-même.

On dirait, en tout cas, je vais parler pour moi, quand je me suis blessé, je me suis dit,
je ne suis pas à la hauteur finalement de ce métier-là.

Puis au lieu de remettre en question la vocation, les doutes étaient sur moi.

Quand il y a la notion de souffrance qui apparaît, on dirait qu'un réflexe, c'est tout de
suite la remise en question.

Pas toujours, mais c'est souvent ça qui va arriver.

Ça peut être constructif, la remise en question, mais pas toujours.

Catherine, tu disais que tu étais exposée des fois à des collègues qui étaient en
difficulté.

Est-ce que tu as toujours su comment réagir?

Je vais parler pour moi, des fois c'est arrivé que je voyais des collègues en difficulté,
mais j'avais pas un malaise, mais une espèce de maladresse peut-être, de savoir quoi dire

ou de me dire...

Tout le monde est occupé, on est à l'hôpital, c'est stressant, c'est peut-être pas le bon
moment, le bon endroit pour parler.

Est-ce que t'étais capable d'entrer en relation à ces moments-là?

Pour ça, je me fais confiance.

Je me rappelle une fois, j'avais une collègue qui avait un peu la réputation d'être tough
et qui était capable d'en prendre.

Et on avait une patiente commune qui venait tout juste de quitter pour aller aux soins
palliatifs.

Et puis, là, j'ai constaté la peine qu'elle avait.

Et puis, instinctivement, sans même me poser de question, je suis arrivée derrière elle,
puis je lui ai fait un gros, gros câlin.

Instinctivement, ça relève des émotions, c'est très instinctif.

Je pense qu'en oncologie, on est tissés serrés quand même, les équipes.

On vit des choses très difficiles et on est confronté à la mort régulièrement.

Quand une collègue vit un décès, en tout cas, on n'a pas besoin de trop se parler, je
crois.

On a besoin d'être ensemble.

Et juste, comme le disait Catherine, se prendre dans les bras cinq minutes, se soutenir.

Je dirais que ça passe plus par le physique que par la parole, en fait, parce qu'il n'y a
rien à dire, parce que c'est difficile.

Alors, mais d'avoir un petit lieu, un petit endroit où on peut juste se retirer cinq
minutes et puis avoir ce, comme tu dis, ce geste de réconfort-là.

En tout cas, nous, c'est le minimum qu'on s'offre.

Pour rebondir là-dessus, je dirais que ce que tu viens de dire Laetitia, je pense, parce
que je n'ai pas fait beaucoup d'autres spécialités, mais l'oncologie, c'est la spécialité

qu'on connaît le mieux.

On est dans une spécialité aussi où on apprend le silence, on apprend à se taire.

Et on apprend aussi à être là, donc dans le silence, mais à être là par le toucher.

Donc ça ne passe pas forcément par la parole, ça peut passer par l'écoute.

Une écoute qui peut être du silence, de l'autre, par le toucher, comme tu l'as fait
Catherine.

Et de se dire que juste ça, ça peut faire beaucoup de bien.

Ce n'est pas la solution tout le temps, mais dans certains moments qui sont très
difficiles, juste se dire que même à travers le silence, on sait ce que l'autre comprend

ce qu'on vit en fait, ou on comprend ce que l'autre vit.

Donc il n'y a pas besoin de mots, il n'y a pas besoin de grandes paroles, ou de longs
moments, ça peut être juste

un petit cinq minutes qui peut faire beaucoup de bien sur le moment où on vit des choses
difficiles.

C'est le fait d'être ensemble, présent.

C'est être présent ensemble.

Je pense que c'est d'être avec l'autre plutôt que d'essayer de dire, "Tu devrais faire ci,
tu devrais faire ça", de juste accueillir.

Moi, je suis spécialiste en médecine

interne. C'est sûr, en médecine physique, on a souvent une vision très curative de la
médecine et de vouloir

Alors qu'on ne peut pas toujours.

Je vous dirais, au début de ma pratique, c'était souvent vécu parfois même comme un échec,
de se dire qu'on n'a pas réussi avec ce patient-là.

Alors que maintenant, je le vois plus comme un accompagnement.

On fait un petit bout de chemin ensemble, puis ensuite, on donne au suivant.

Puis là, ça va être d'autres soignantes, d'autres soignants qui vont prendre le relais.

Puis je pense que de juste en prendre conscience, ça fait en sorte qu'on porte le fardeau
à plusieurs plutôt que sur nos seules épaules.

Puis je pense que ça rejoint un peu ce que vous disiez, de pouvoir créer des lieux ou des
petits sanctuaires.

Ça n'a pas besoin d'être compliqué, juste pour être capable de se rassembler puis de
ventiler ensemble.

Mais si je peux me permettre, on parlait beaucoup de contacts physiques, de paroles, donc
des gestes qui se passaient de mots, mais je dirais aussi des fois de gestes, vraiment de

petits gestes, de petits gestes concrets.

J'ai passé un moment très difficile où je trouvais ça vraiment vraiment difficile de
soigner mes patientes tout en m'occupant de mon père qui était aux soins coronariens dans

le même hôpital où je travaillais.

Dans un sens, ça facilitait évidemment beaucoup les choses.

Et puis trois ou quatre jours avant le décès de mon père, j'ai jeté l'éponge et je me suis
dit j'arrête.

J'arrête de travailler, puis je vais être présente, je vais juste m'occuper de papa.

Et quand je remontée dans mon bureau, c'était un vendredi, il était une heure de
l'après-midi, je n'oublierai jamais.

Il y avait une collègue à qui j'avais dit, désolé, je serai pas au lunch, conférence midi.

Je lui ai dit pourquoi.

Et puis elle m'avait laissé une boîte à lunch sur mon bureau.

C'est niaiseux, c'est limite banal comme geste, mais je l'oublierai jamais.

Voilà, je ne suis même pas sûre qu'elle se soit dit quoi que ce soit encore, là.

Ça relève peut-être de l'instinct, de la bienveillance, mais elle apprécierait quand même,
particulièrement dans les circonstances

d'avoir un bon lunch, puis elle avait raison parce que c'est rarissime que la gourmandise
me quitte.

Donc voilà...

Trois ans et demi après, je m'en rappelle encore.

Les autres?

Ça me fait penser à ce que tu nommes Catherine, d'avoir l'expérience d'avoir accompagné
aussi nous comme personne des patients, ça transforme notre relation au soin, je trouve.

Moi, pour avoir déjà été dans le fauteuil de la personne soignée, ça donne une leçon, un,
d'humilité.

Puis deux, ça a quand même changé ma perspective par rapport à mon approche de soigner.

Je comprends un peu le poids des mots puis l'impact des petits gestes.

Alors moi je ne suis pas passée sur le fauteuil de l'autre côté, mais c'est sûr qu'on
apprend plein de choses, notamment dans les mots et comment les dire.

Je me souviens d'une fois où je suis rentrée dans une chambre et j'ai dit à un patient,
mais comme on dit naturellement à tout le monde, je fais "Bonjour, ça va bien ?"

Le patient me dit : "Non, ça va pas bien, sinon je ne serais pas ici." Toujours pareil,
j'étais en oncologie.

Puis c'est après que j'ai appris à dire "Bonjour comment allez vous ?"

Parce que justement l'approche et les choix des mots, il faut faire très attention à ça.

On apprend en fait, on apprend tout ça.

Et les patients nous apprennent beaucoup aussi.

Donc c'est ça qui est beau dans notre métier aussi, qui fait qu'on l'aime, c'est que ce
métier-là nous amène plus loin, nous apprend et ça fait partie des expériences qu'on vit

sur...

Comment parler, comment être ?

Pour rebondir sur ce que tu dis, c'est clair que quand on a notre diplôme et qu'on
commence, on n'est pas infirmière.

On a de la théorie, on a fait des stages et des choses qu'on sait.

Mais il y a beaucoup de choses qu'on va apprendre au contact.

En fait, presque tout finalement.

On l'apprend au contact de nos patients, de nos patientes et de nos collègues.

Sans pour autant être de l'autre côté, juste en rentrant dans une chambre, juste la façon
dont on va rentrer dans une chambre.

Tout ça, ça s'apprend, de frapper avant de rentrer, de respecter l'intimité, le choix des
mots et le choix des silences aussi, des fois.

L'importance de ne pas toujours...

de ne pas avoir peur des silences, surtout en oncologie, il y a plein de fois où on rentre
dans des chambres et...

C'est dramatique ce qui se passe, qu'est-ce que vous voulez dire ?

Il n'y a rien à dire.

Il y a juste à être.

Et ça, ça ne s'apprend pas toujours.

C'est en nous.

On peut apprendre le savoir-faire.

Je peux apprendre à ma fille qui a 14 ans à faire une prise de sang.

Elle va savoir la faire, la prise de sang.

Ça ne fera pas pour autant d'elle une soignante.

Mais la façon dont elle va

se présenter, la façon dont elle va aborder la personne, la façon dont elle va la toucher.

Tout ça va faire qu'elle est une soignante.

Mais faire une prise de sang, tout le monde est capable de faire ça.

Donc je pense que c'est quelque chose qui se...

j'allais dire presque, ce n'est pas que ça ne s'apprend pas, mais ça se développe, en tout
cas.

Hmm.

Tout le monde parle du métier, je trouve, avec un certain bonheur, dans le sens qu'on aime
nos patients, on a des souvenirs agréables.

Laetitia, tu as quitté le métier.

Est-ce que ça te donne une certaine nostalgie de parler de ça?

Bien c'est sûr qu'il y a tout un travail que je dois faire maintenant que je suis partie.

Il faut que je comprenne...

Je comprends pourquoi je suis partie, mais il y a un travail à faire là-dessus.

Oui, je suis nostalgique de ma profession parce que j'avais quatre ans quand j'ai dit que
je serais infirmière.

Alors forcément, ça fait partie de mon identité aussi de soigner.

Donc, il faut que je passe à travers.

C'est un processus en fait, c'est un travail.

Et puis le projet d'écriture

sert aussi à travailler là-dessus, j'en suis tout à fait consciente...

Oui de la nostalgie certainement, parce que quand on travaille en oncologie, et c'est ça
qui est très spécial aussi à l'onco, c'est-à-dire qu'on sait qu'on vit des situations très

difficiles, et en même temps très belles, parce que c'est la vie jusqu'à la fin en fait,
et c'est un privilège d'accompagner quelqu'un jusqu'à la fin, jusqu'à son dernier souffle,

on assiste à des moments très précieux.

Et en même temps, ça nous déstabilise parfois, ça nous fait souffrir aussi et on ne pas
travailler ailleurs.

En général, les filles qui sont en onco, oui, elles vont partir un petit peu ailleurs,
mais elles vont y revenir à un moment donné à l'onco ou aux soins palliatifs.

Il y a quelque chose de très, très fort dans ce qu'on vit.

Alors, je ne sais plus si je réponds à la question, mais oui, bien sûr, je suis
nostalgique de

de ces moments d'accompagnement qui sont très précieux parce qu'on touche à l'humain, on
touche à l'essentiel.

Il n'y a plus de falbala, il n'y a pas de rôle là.

On est brut, on est dans l'essence même de la personne à ce moment-là.

Et oui, bien sûr, je vais m'ennuyer de ça, mais c'est ça, c'est comme ça.

Pantxika, tu es revenue vers le soin?

Oui, je suis partie il y a 10 ans, j'ai arrêté, ou 11 ans maintenant, j'ai arrêté pendant
10 ans et en pensant que j'avais tout donné et puis que je n'avais plus rien d'autre à

vivre et puis que c'était fini pour moi et que je devais faire autre chose alors j'ai fait
autre chose.

J'ai été dans l'événementiel, rien à voir mais j'ai aimé ça.

J'ai vécu d'autres choses, j'ai travaillé dans un univers dans lequel j'avais envie de
travailler, que j'avais testé, donc je n'ai aucun regret.

J'ai rencontré d'autres personnes, j'ai vécu d'autres choses, jusqu'au moment où je me
suis rendue compte qu'en fait, la relation humaine me manquait énormément.

Et que j'étais plus infirmière que je ne le pensais et que je n'avais peut-être pas fini
de tout vivre.

Alors là je reviens à la profession dix ans plus tard, je suis une autre personne parce
que j'ai vécu d'autres choses entre temps, mais je reviens avec le souvenir aussi de

douleurs d'il y a dix ans qui ont fait que je suis partie, donc de choses à travailler
aussi ou à essayer

d'aborder différemment.

Mais quand je reviens à la profession, moi, mon but, c'est un petit peu la même chose.

Donc là, je suis en CLSC, je suis dans du soutien à domicile et j'essaye de rentrer dans
la relation avec mon patient.

Donc je m'en vais pour lui faire un pansement, mais ce n'est pas de lui faire le pansement
qui m'intéresse.

C'est l'être humain.

Et puis là, ça demande une humilité parce qu'on rentre chez les gens.

Ce ne sont pas eux qui viennent à nous, mais c'est nous qui allons à eux.

Donc on est dans leur intimité, dans leur univers, qui peut être aussi très déstabilisant
pour plein de raisons.

Et c'est d'essayer de retrouver, d'être dans ce contact-là.

Donc je traîne toujours ça quand même derrière, d'être dans la relation à l'autre plus que
dans le soin technique, parce que tout comme Laetitia le disait...

On ne sait pas pourquoi, mais quand on a travaillé un peu en oncologie ou en soins
palliatifs, on y revient toujours.

On a toujours un peu cette affinité-là quelque part.

Et puis, j'essaye de voir comment rentrer dans une équipe de soins palliatifs ou de
retrouver ça parce que pour moi, ce sont ces moments-là qui sont difficiles, mais où je

sens que moi, personnellement, j'apporte quelque chose, où je peux arriver à apporter
quelque chose

et à recevoir en retour aussi.

Ce que tu nommes un peu d'être partie parce que tu avais donné tout ce que tu avais à
donner.

C'est la fatigue de compassion parfois aussi qu'on subit.

Moi, je dis souvent qu'on a des batteries d'empathie.

Puis éventuellement, quand les batteries sont vidées, elles sont vidées.

Puis c'est difficile après ça, surtout dans les domaines où l'empathie est

une qualité essentielle.

Je pense que là, après ça, quand ça s'est épuisé, c'est un peu normal de vouloir s'en
éloigner.

Pour rebondir sur ce que tu dis, je trouve que c'est en plus très sournois, en fait.

On ne s'en rend pas compte que les batteries, elles se vident.

Et parfois quand on s'en rend compte, c'est presque trop tard en fait.

Il y a comme quelque chose qui fait que je ne peux plus en fait.

Je ne peux plus, je n'y arrive plus.

Moi j'avais toujours dit le jour où j'arrête d'être émue par une situation...

Il faut que j'arrête ma carrière parce que je ne serai plus dans l'empathie justement.

Et c'est le contraire qui est arrivé.

Au plus les années ont passé, au plus j'ai été émue, de plus en plus émue, jusqu'au point
où finalement ça m'atteignait trop.

Est-ce que, Catherine, tu avais quelque chose à dire par rapport à la fatigue de
compassion?

On était en train de discuter.

en lien avec la fatigue de compassion qu'en lien avec quelque chose qui m'a accrochée dans
le discours de Pantxika tout à l'heure.

Quand j'ai commencé à travailler comme infirmière, j'ai fait quatre ans de médecine
interne justement dans un centre hospitalier.

Ensuite, je suis partie deux mois à l'étranger

en humanitaire avec des expériences plus ou moins heureuses, plus ou moins concluantes.

Quand je suis revenue, j'ai fait 4 ans de CLSC.

Après 4 ans de CLSC, j'ai décidé de retourner en milieu hospitalier, ce qui est quand même
relativement rare parce que quand on quitte le milieu hospitalier, c'est plutôt dur d'y

retourner.

Il y avait une seule raison pour laquelle je voulais retourner en milieu hospitalier,
c'était de travailler en oncologie.

L'objectif était assez clair, c'était l'oncologie et rien d'autre que ça.

Et puis peut-être pour emboîter sur la fatigue de compassion, Laetitia a nommé le fait que
souvent quand on s'en compte, il est trop tard, c'est probablement en grande partie vrai.

La façon dont je m'en rends compte, personnellement, c'est quand ça vient affecter mes
relations puis mes façons de faire avec mes proches.

Pour moi, c'est vraiment le signal d'alarme.

Parce que sinon, j'ai l'impression que face aux patientes, j'ai l'impression que je
pourrais donner, donner, donner,

quasiment à l'infini.

Donc, une chance que j'ai mes proches, chum et enfants qui servent un petit peu de
pare-feu, si on veut.

...

Des fois même, pour rebondir un peu sur le sujet des proches, ça contamine.

En tout cas, moi, ça m'est arrivé que mes relations interpersonnelles soient affectées
négativement parce que je ramenais du travail à la maison ou je n'étais pas dans un état

d'esprit, je n'étais pas présent avec mes proches, j'étais encore ailleurs, plus
impatient, plus irritable.

J'avais souvent l'impression que je n'étais pas compris ou qu'on ne m'entendait pas.

Que j'essayais de parler d'une situation que j'avais vécue, par exemple à l'hôpital, que
j'avais trouvée difficile, à des personnes qui ne sont pas dans le domaine du soin, puis

je n'avais pas l'impression d'être compris.

Dans les repas, général, on plombe l'ambiance assez vite.

Quand on fait un petit tour de table, c'est assez rapide qu'il y a une espèce de lourdeur
qui se met au-dessus de nos têtes.

Quand on dit ce qu'on fait, ça crée parfois un certain malaise, en fait.

Donc, ce n'est pas évident toujours d'en parler.

Laetitia, tu as abordé un thème plutôt que j'ai trouvé intéressant qui est l'identité.

Parce que quand on devient soignante, soignant, ça devient éventuellement une partie de
notre identité parce que c'est tellement prenant et c'est tellement demandant.

Comment tu trouves le fait d'être sortie du domaine?

Mais en fait, je pense que ça fait tellement partie de nous qu'on reste des soignants,
même si on n'est plus dans le domaine.

Moi, j'ai un autre projet, j'accueille des voyageurs maintenant et le soin faisant partie
de moi, malgré moi, je les soigne, en fait, dans l'accueil que je leur offre et ça ressort

régulièrement en témoignage.

Alors...

Je pense qu'on est des soignants, on reste des soignants, même si on quitte le domaine.

Et puis avec nos amis, avec nos familles, ça nous colle à la peau.

On ne pas s'en sortir de ça, comme ça fait partie de moi.

Donc je reste une soignante, même si je ne suis plus dans les soins aux patientes.

Et actuellement, j'ai une énergie débordante pour prendre soin des soignants.

Alors je trouve une autre forme

d'expression dans le soin aux autres, ce n'est plus aux patients, c'est envers les
soignants, c'est envers mes collègues.

Je trouve ça...

ça prend trop de place dans notre identité?

C'est une bonne question.

Spontanément, comme ça, je dirais non.

Moi, ce qui prenait beaucoup de place pour moi, par contre, c'est l'impact de ce que je
vivais à l'hôpital sur ma vie.

Ça, ça prenait beaucoup de place.

Et le fait d'être tout le temps confrontée à des patients en fin de vie...

Ça m'a donné une urgence de vivre dans ma propre vie.

Parce que tout peut s'arrêter demain, tout peut basculer du jour au lendemain, on
reconnaît la fragilité de la vie à ce moment-là.

Et c'est très fatigant de vivre avec quelqu'un qui a cette conscience de la mort parce
qu'on a tout le temps envie de faire plein de choses, parce qu'on ne sait jamais si tout

basculait demain, si ça s'arrêtait, il faut faire les choses maintenant et pas attendre.

Et du coup c'est très fatigant pour l'entourage.

Je pense que mes enfants ont une notion de la mort que les autres enfants n'ont
probablement pas encore, en fait.

Et alors je ne sais pas si c'est bien ou pas bien.

Ceci étant, je crois que ça nous fait apprécier aussi toutes les beautés de la vie dans
les moindres petits détails.

Ça c'est aussi le bon côté, l'autre côté du métier, c'est de nous faire apprécier tous les
bons moments finalement,

Bien moi je suis d'accord avec Laetitia, moi je suis pas dans une urgence de vivre par
contre, je suis dans l'importance de vivre ce que j'ai à vivre mais là, pas de tout vivre

parce que pour moi ça serait trop anxiogène, je ne peux tellement pas tout vivre, mais oui
sur l'envahissement souvent des choses qu'on ramène

Est-ce qu'on est trop là-dedans ?

Est-ce que cette identité prend trop de place?

Je ne pense pas.

Elle prend la place.

Ma place, c'est ce que je suis.

Elle ne déborde pas de moi.

Je suis infirmière et même si pendant dix ans je ne l'ai pas été, je n'étais plus dans le
soin, comme dit Laetitia aujourd'hui, j'ai été dans le soin

autrement, en fait...

Dans l'écoute, dans l'approche que j'avais des gens, dans tout ça...

J'étais différente des autres qui étaient dans le même métier que moi ou je pouvais avoir
une approche qui était différente...

Mais après, ça reste que je suis ce que je suis parce que moi aussi depuis toute petite je
veux être infirmière, donc ça a été difficile aussi quand il a fallu que j'arrête.

Et ma mère a trouvé ça difficile parce qu'elle s'est dit

"Mon Dieu, mais elle a fait tellement d'efforts pour être infirmière.

C'est tellement ce qu'elle a voulu être", de se dire qu'à un moment donné, je ne voulais
plus faire ça.

Puis pour moi, c'était clair.

Je ne voulais plus, c'était fini, j'étais arrivée au bout.

Je me disais, j'ai autre chose à vivre.

Et ma mère, quand je lui ai dit, je reviens comme infirmière, elle me dit : "Je suis
contente parce que c'est tellement ce que tu as voulu faire toute ta vie." C'est là

qu'elle m'a dit, "Ça m'a fait quelque chose quand tu m'as dit, je ne veux plus être
infirmière

parce que je t'ai tellement vue faire beaucoup d'efforts pour ça, pour être infirmière,
puis être aussi dans la douleur et dans la souffrance de ce métier-là." Mais c'est ça,

donc non, moi j'y reviens avec joie, avec plaisir, en mettant mes limites, en ayant
conscience aussi justement de la difficulté que ça peut avoir et de ne pas s'oublier

non plus dans ce métier-là, parce que c'est arrivé combien de fois de se dire...

Parce que comme tout le monde, on peut avoir des douleurs, mal de tête, mal au dos, et
puis on se dit, ouais, mais moi, c'est rien par rapport aux patients que j'ai.

Puis on s'oublie là-dedans, on dit, non, j'ai pas le droit de me plaindre parce que je
suis en santé.

Puis au final, on se dit, mais attends, j'ai quand même mal à la tête, j'ai le droit
d'avoir mal à la tête aujourd'hui.

Et de ne pas aller bien parce que j'ai vraiment mal à la tête aujourd'hui, ou j'ai
vraiment mal au dos, ou mal ailleurs, ou d'autres types de problématiques, que la douleur

soit physique ou psychologique.

Donc de ne pas s'oublier face à la douleur des personnes qu'on soigne, ou qu'on a à
soigner, ou à sauver si on travaille à l'urgence ou peu importe la spécialité ou en

médecine.

Peu importe la spécialité, mais il ne faut pas qu'on s'oublie, souvent.

Je pense que c'est ça, moi, que j'ai appris aussi.

J'essaye de faire très attention à ça.

Toi, Catherine, dans la recherche de cet équilibre-là entre l'identité et ta personne?

Si mon chum était à côté de moi, il dirait que ça prend une trop grande place.

Ça, c'est sûr et certain.

Parce qu'un peu comme Pantxika le mentionnait, j'avais quatre ou cinq ans et je savais que
je voulais être infirmière.

Je l'ai toujours su.

Ça, c'est clair.

Et contrairement à Pantxika, c'est un peu au grand dam

de mes parents qui n'encourageaient pas forcément cette voie-là pour différentes raisons.

Oui, ça fait partie de mon identité, que j'en parle beaucoup, même à l'extérieur.

Ceci étant dit, peut-être que j'avais ça en moi ou que je l'ai appris avec le temps, mais
j'ai quand même pas trop mal développé cette capacité-là de faire autre chose,

de prendre soin de moi, de m'occuper des autres d'autres façons, de soigner autrement.

Et puis ce dont je suis assez curieuse, dans un an et demi, je prends presqu'un an de
traitement différé, de congé.

Et je trouve que l'occasion est vraiment bonne de voir comment est-ce que je peux vivre,
comment est-ce que je peux me construire

ailleurs qu'en étant soignante, vraiment soignante dans la définition la plus commune de
la chose.

Donc voilà, ça va être une occasion pour se construire, pour prendre aussi un peu de recul
par rapport à ce que j'ai vécu dans les dernières années.

Je pense aux photos de mes patientes que j'ai accrochées dans mon bureau.

Je pense à tout ce que j'ai vécu avec mes patientes, tous les accompagnements que j'ai
faits.

Et puis, je me pose parfois la question, c'est quoi le poids de tout ça?

Qu'est-ce que ça laisse dans ma vie comme trace?

Est-ce que ce sont des traces positives?

Est-ce que ce sont des traces négatives?

Il y a une patiente que j'ai accompagnée à l'aide médicale à mourir, jusqu'à chez elle,
jusqu'à la maison.

Elle et son conjoint m'ont demandé d'être présente le jour de son aide médicale à mourir
et donc je m'y suis rendue.

Et puis quand j'entends aujourd'hui la musique que son petit-fils jouait pendant l'AMM,

forcément, évidemment, ça me revient en tête.

Puis là, c'est un exemple, mais je me demande, c'est quoi le poids de tout ça?

C'est quoi les conséquences de tout ce que j'ai vécu?

À quel point est-ce que j'ai perdu mon âme ou à quel point est-ce que j'ai gagné en
humanité?

Mais je n'ai toujours pas trouvé la réponse.

Laetitia, parce que justement dans cette recherche d'équilibre ou d'identité, il y a le
rôle de création avec votre projet, puis Catherine parlait de traces ou de marques que ça

peut nous laisser, je pense que c'est une belle occasion de les exprimer.

Mais écoute, au tout début de ce projet, le titre du livre allait s'appeler "Empreintes".

Alors, ça parlait bien de ce que ça laisse en nous.

Clairement, il y a des choses qui s'impriment.

On ne peut pas faire autrement, c'est pas vrai.

Tu parles de musique.

Moi, c'est quand je vois un papillon.

En tout cas, on a toutes

des petits détails comme ça qui repopent par moments et qui nous ramènent à ces situations
qu'on a vécues.

Alors bien sûr, on ne se rappelle pas de toutes ces situations-là, mais il y en a
certaines...

Va savoir pour quelle raison, à ce moment bien précis, elles se sont imprimées, mais
clairement elles nous habitent.

Clairement elles nous habitent.

Et je pense que le fait de les écrire, quelque part c'est thérapeutique, en tout cas pour
moi, les avoir écrites, c'est les avoir déposées quelque part sur le papier.

Et j'ai beaucoup pleuré en écrivant ce que j'ai écrit.

Je pense que ça a été libérateur.

Alors maintenant, elles m'habitent, mais je suis moins dans l'émotion.

Je peux en parler sans être dans l'émotion.

Alors qu'avant, j'aurais pu parler de cette histoire de papillons et brailler ma vie.

Donc oui, je pense que la création, l'écriture, le partage, tout ça démontre qu'il y a des
empreintes,

clairement.

invitée au balado parlait de la blessure post-traumatique, du fait de soigner, que ça
laisse des marques en nous.

tu vois, ça je trouve que ça serait tellement pertinent de le savoir avant de commencer sa
carrière.

Ou au début, comme on en parlait tantôt, se dire on est à risque de blessures.

Ça serait quand même bien de le savoir avant.

Pour pouvoir le prévenir ou du moins le prendre en considération quand ça nous arrive.

Pantxika, je te vois hocher la tête par rapport aux traumas.

Oui, c'est sûr !

Donc pour parler, oui c'est ça, d'empreintes, comme on disait tout à l'heure, d'avoir
cette connaissance-là, de se dire que le métier qu'on fait, on parle du métier de soignant

évidemment, puisqu'on est dans ce podcast-là, il y a le métier de professeur, tous ces
métiers d'accompagnement en fait, en DPJ, les

travailleurs sociaux, peu importe, et dans le métier de soignant on rentre les
physiothérapeutes, ergothérapeutes, enfin absolument tout le monde.

Mais de se dire d'avoir cette notion-là pour qu'un jour quand on est soi-même dans la
souffrance, on puisse savoir qu'on est dans une souffrance, dans une forme de souffrance

et qu'il n'y a rien de grave là, mais qu'on puisse au moins ne pas attendre

et aller chercher de l'aide, trouver en soi des outils, se mettre des outils en fait dans
notre coffre pour pouvoir le jour où on en a besoin, les ressortir et se dire, tiens j'ai

deux, trois petites choses que je peux mettre en place quand ça arrive et oui il a des
traces et des traces.

Avec le temps, ce dont on se souvient ce sont des belles empreintes.

Parce que le corps humain est ainsi fait que les mauvaises choses, on a tendance à les
oublier.

Puis tant mieux !

C'est peut-être ce qui a fait que je suis revenue au métier dix ans plus tard.

Je serais très curieux d'avoir votre opinion là-dessus.

par rapport aux personnes qui quittent le métier.

Là, on a un exemple de personnes qui ont quitté et d'autres qui reviennent.

Je m'intéresserais à savoir qu'est-ce que vous aimeriez dire aux personnes qui ont envie
de quitter ou qui ont quitté?

Si vous avez envie de quitter, quittez, quoi.

Spontanément, c'est ce qui me viendrait.

Quittez, quitte à revenir plus tard.

Mais si vous vous posez la question, je pense qu'il faut vous écouter.

Parce qu'il y a quelque chose qui ne marche plus.

En tout cas.

Après, c'est spontanément.

Je n'ai pas réfléchi plus que ça là.

Mais si quelqu'un dit, j'en ai marre, il faut que j'arrête.

Arrête.

Arrête parce que...

Ça va être difficile pour toi et il ne faut pas oublier qu'au bout de la chaîne, c'est le
patient qui va payer les pôts.

Enfin, je crois.

tout en n'ayant jamais eu de regret d'avoir quitté et jamais eu de regret d'y revenir.

Mais il faudrait voir quelle est l'origine en fait de ce désir de vouloir quitter.

Parce que ça se peut que ce soit parce qu'on est arrivé au bout de quelque chose...

et puis surtout n'hésitez pas, je veux dire qu'il ne faut pas avoir peur, la peur elle est
là, mais derrière c'est beau aussi.

Mais c'est sûr que si on quitte parce qu'il y a une usure, un burn-out ou quelque chose,
il faut savoir s'arrêter, se faire aider pour peut-être pouvoir mieux revenir ou mieux

quitter aussi.

derrière.

Moi, comme je dis, avoir eu la psychothérapeute que j'ai en ce moment, peut-être que je
n'aurais pas quitté mon métier il y a dix ans.

J'ai pas de regret d'être partie, attention, mais peut-être que je ne l'aurais pas fait.

Je ne sais pas, on ne saura jamais.

Ceci étant, je pense effectivement que si j'avais eu accès avant d'arriver au "il est trop
tard, je n'y arrive plus", s'il y avait eu quelque chose avant pour m'aider, probablement

que je serais encore infirmière en oncologie.

Certainement, certainement.

On est très dans la réaction plutôt que dans la prévention.

Quand il y a ce doute-là qui s'infiltre en toi en disant "je veux quitter, je veux m'en
aller", je suis assez d'accord qu'il ne faut pas l'ignorer.

Il ne faut pas l'ignorer et faire comme si ce n'était pas là, quoi.

Il faut en tenir compte.

Après, comme tu disais, Pantxika, il y a des questions qui valent la peine d'être posées,
d'essayer de voir, d'essayer prendre le temps de voir

d'où ça vient.

Personnellement, ça m'est arrivé une fois il y a huit ou neuf ans.

À ce moment-là, j'ai eu la chance d'avoir d'abord des parents qui étaient déjà assez âgés,
mais qui ont été super supporteurs.

Ça a aidé.

Et le fait aussi qu'il me restait deux semaines de vacances

que j'ai prise presque tout de suite qui m'ont permis de prendre un certain recul.

Donc, il y a des facteurs qui sont additionnés.

Et d'avoir aussi une supérieure qui a eu la possibilité d'intervenir pour changer
certaines choses dans la situation à mon retour de vacances.

Mais c'était clair que je m'en allais droit dans un mur et puis je m'en allais en congé
maladie si ça ne changeait pas.

Il y avait une implosion.

Il y a quelque chose de très néfaste qui allait se passer.

Et en bout de ligne, je suis contente d'avoir pu éviter ce mur-là.

Mon Mon avant-dernière question pour vous : on parle souvent de cette fameuse baguette
magique qu'on aimerait tous et toutes avoir.

Qu'est-ce que vous changeriez dans notre système?

On Oh là là !

Bien des choses!

uh

J'ajouterais en fait...

ou ce que je changerais, c'est l'humanité.

Et la communication.

Moi, depuis que je suis revenue, je n'arrête pas de dire ça.

On a une communication qui est ultra défaillante.

On ne se parle plus, on n'arrive plus à se parler.

Et pourtant, on a des outils, hein, entre les mails, les téléphones cellulaires, les
pagettes,

name it...

On en a plein, mais on se perd dans un système qui est gros et qui a perdu de l'humanité.

On est dans de la gestion...

intrant, sortant...

c'est financier, c'est déshumanisé, en fait, beaucoup, puis ça on le sait, on le dit, on
n'arrête pas de le dire, mais moi je trouve que c'est l'humanité qui s'est perdue là

dedans.

Et souvent, nous, quand on fait ce métier-là, c'est pour le côté humain.

Donc c'est là qu'on ne s'y retrouve plus vraiment quand on nous dit ou quand on nous
demande de réfléchir autrement que dans l'humanité.

Oui, en lien avec ce que tu dis, je pense que clairement, qu'on soit médecin, infirmière,
préposé, physiothérapeute, nutritionniste, comme on en parlait tantôt, ergothérapeute, on

a des souffrances en lien soit avec la charge émotive qu'on vit, soit avec des problèmes
organisationnels et de système.

Et je pense que la clé, c'est de se rassembler, de se retrouver, d'avoir des moments où on
peut juste se poser cinq minutes et parler.

Je me permets de parler du Dr Gabriel Sara,

qui est hémato-oncologue dans un hôpital à New York et qui régulièrement fait des
déjeuners avec tout son staff.

Réguliers.

Ils se voient ensemble et chacun dit un mot, une phrase sur ce qu'il a vécu dans les
derniers jours.

Qu'est-ce qui a été difficile ou qu'est-ce qui a été beau ?

Ils rient ensemble, ils pleurent ensemble, ils finissent avec de la musique et tout le
monde repart.

Si j'avais une baguette magique, c'est ça que je ferais.

Et juste pour rebondir là-dessus, moi quand j'étais infirmière en oncologie en France, on
avait toutes les deux semaines, je pense, une rencontre avec le psychiatre de l'hôpital et

la psychologue qui étaient les deux spécialisés en oncologie soins palliatifs et où on
faisait des rencontres d'équipe et où c'était un lieu vraiment de verbalisation.

Ça durait une heure, une heure et demie, c'était une heure peut-être, très limitée,

et où des fois des gens qui étaient en congé venaient pour assister et qui aidait
énormément.

Mmh.

pense que c'est important de mélanger les corps de travail, de mélanger le monde des
médecins, le monde des infirmières, des préposés.

Imaginez un préposé aux bénéficiaires qui est en oncologie, qui a eu un décès dans sa
journée.

L'infirmière va rentrer dans la chambre, va faire quelques soins.

Le préposé, c'est lui qui va s'occuper du corps de la personne.

Tout seul ou à deux, des fois.

Est-ce que quelqu'un,

un quart de seconde, va lui demander comment il va après ?

Non, personne ne se préoccupe de qu'est-ce que vie se préposé-là.

Et il reprend son chariot, puis après ça, c'est la tournée des repas.

Voilà, il va aller servir à manger, c'est les repas.

Mais il n'y a pas eu de temps entre les deux moments pour qu'il se dépose.

Au bout de 5 ans, de 10 ans, de 15 ans, de 20 ans, ça fait des gens qui tombent malades,
parce que c'est presque de la folie de faire vivre ça à des humains, parce qu'on est

humains.

Alors, on fait quoi de cette souffrance-là?

Elle n'existe pas?

Nous, on est des infirmières, vous êtes médecins, on a eu la chance de se rencontrer.

Mais moi, j'aimerais ça qu'on ait des préposés avec nous aujourd'hui, des femmes qui font
le ménage, à qui les patients disent énormément de choses parce qu'elles restent plus

longtemps.

Les préposés ont un contact physique avec les patients, beaucoup plus que nous,

pour faire des bains et tout ça.

Alors eux aussi ont énormément de charges émotionnelles qu'ils reçoivent.

Mais qui se soucie de leur bien-être?

Qui se soucie de leur douleur et de leur peine?

Pas grand monde, là, personne.

Donc, je pense que rassembler les gens, tous ensemble, peu importe que ce soit médecin ou
infirmière, on est tous importants dans la chaîne.

Il n'y a pas un petit maillon et un gros

maillon.

Si la personne qui ramasse les poubelles les laisse à l'hôpital, on ne pourra pas soigner
les gens comme il faut.

Si le préposé ne lave pas les patients et ne les mobilise pas, ça ne marchera pas non
plus....

Il faut que les gens aient la chance de se rencontrer ensemble.

Ça n'est pas tant, ce n'est pas si compliqué.

Je suis sûre que ce n'est pas si compliqué d'avoir un 5 minutes.

Il y a bien des top chronos de 10 minutes le matin, 10 minutes l'après-midi, on fait un
top chrono sur un nouveau protocole.

Est-ce qu'on pourrait pas faire un top chrono sur...

"Hey, ça va comment aujourd'hui?" Ça prend 10 minutes, 10 petites minutes.

Je suis sûre que c'est réalisable.

Je vais enchaîner avec ma dernière question parce que le temps file.

Mais si vous pouviez vous parler à une jeune version de vous-même, début vingtaine, avant
le début de tout votre parcours, qu'est-ce que vous aimeriez vous dire ou qu'est-ce que

vous auriez aimé comprendre avant?

Ah mon Dieu.

envers toi-même.

Moi je me dirais fais attention à toi, tu es à risque.

T'es à risque d'usure de compassion ou de fatigue de compassion.

...

Ça existe.

Donne-toi le droit à l'erreur.

Oui, on travaille avec des êtres humains.

Oui, notre matière première est infiniment précieuse, mais il reste que justement, on est
des humains qui travaillent avec d'autres êtres

Ton potentiel de vouloir apprendre, d'amélioration, ton potentiel de croissance est
tellement grand et tellement énorme en étant bienveillante face à toi-même, tu ne vas

faire qu'accroître ce potentiel-là lui donner une chance vraiment de se concrétiser.

C'est vraiment ça que je dirais à la jeune infirmière de 22 ans.

Moi, je lui dirais, prends soin de toi parce que pour pouvoir prendre soin des autres, il
faut pouvoir prendre soin de soi aussi.

C'est important, ne t'oublie pas.

Je laisserais le mot de la fin à Laetitia.

Si tu pouvais nous parler un petit peu de ton projet, je suis convaincu que ça
intéresserait plusieurs personnes qui vont écouter le balado.

Alors ce projet, ce projet est parti en 2022 quand j'ai retrouvé une collègue préposée qui
pleurait dans un petit espace parce qu'elle avait perdu une patiente.

Et donc du coup, je me suis dit, il faut qu'on fasse quelque chose.

Ça doit venir de nous parce qu'on est des gens du

terrain. On sait ce dont on a besoin et il y a certainement des solutions à mettre en

place. Donc, je me dis d'abord, il faudrait peut mettre en lumière cette

Donc on va écrire.

On va écrire un livre avec nos témoignages, qu'on soit préposés, médecins, infirmières,
peu importe.

On se met ensemble, on écrit un livre, on le publie.

Et puis à la suite de ça, on passe à l'action.

On essaye de mettre en place un lieu de réconfort pour les soignants dans notre unité de
soins.

Ça serait ça le but ultime de ce livre-là.

C'est d'abord mettre en lumière et ensuite essayer de proposer des solutions pour prendre
soin

de notre équipe parce que je pense que ça ne peut venir que de nous.

Ça ne viendra pas d'ailleurs que de nous.

Donc j'ai initié ce projet, puis j'ai toute une équipe derrière moi qui me suit, des
soignants qui poursuivent cette aventure et c'est un privilège.

Est-ce qu'il y a une date de publication prévue?

Je me souhaite cette année, vraiment.

Je me souhaite cette année.

En tout cas, je te souhaite une bonne continuation dans ce projet-là.

Je trouve ça très noble et je suis convaincu que plusieurs personnes qui ont écouté
aujourd'hui vont se reconnaître dans ce que tu as nommé.

Merci beaucoup pour cette initiative.

Je voudrais prendre un petit moment pour vous remercier tout le monde pour la rencontre et
pour votre indulgence parce que c'était la première fois que je faisais un entretien à

plusieurs personnes.

Je pense que ça s'est, somme toute, bien déroulé.

Et puis, je vous souhaite vraiment la meilleure des chances pour la suite et de continuer
à prendre soin de vous dans l'équilibre.

beaucoup, merci beaucoup.

de nous avoir donné ce temps-là de parole.

Merci infiniment et puis merci de faire ce balado, vraiment.

Moi, c'est un livre, vous, c'est un balado, mais on parle de la même

chose. Alors, merci

Comme tu dis, je pense que c'est en unissant nos voix qu'on va réussir finalement à créer
quelque chose qui va partir de nous, pour nous.

Merci et à bientôt.

Au revoir.

Voilà.

Créateurs et invités

person
Hôte
Steven Palanchuck, MD
Médecin et fondateur de VociNova – La nouvelle voix des soignants. Créateur du balado Soigner jusqu’à se briser et de MedicaBot - Dialogue & Dx, il met en lumière la détresse des soignants et les enjeux du système de santé.
Épisode 0.12 : Tous les maillons du soin gardent une empreinte – Catherine de Ravinel, Laetitia Jourdan et Pantxika Ostiz, infirmières en oncologie
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