· 36:41
Je me suis dit que ça ne fonctionne pas, je ne me sens pas bien.
Je pleure le matin en me réveillant, je pleure le soir en revenant de l'hôpital.
Tout ce que je fais, c'est dormir et aller à l'hôpital.
J'ai été la voir et elle dit "Écoute, c'est ça ta vie maintenant, il faut que tu t'y
fasses ou sinon t'es pas dans le bon domaine."
Ça m'a complètement chamboulé.
Bonjour et bienvenue à "Soigner jusqu'à se briser".
Je m'appelle Steven Palanchuck et aujourd'hui, dans ce troisième épisode hors série, je
vous présente mon entretien avec le Dr Samuel Brassard.
Samuel est médecin de famille.
Il travaille dans la région de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Dans notre conversation, on aborde plusieurs choses.
Le tabou de la souffrance chez les soignants.
Pourquoi on n'en parle pas plus?
On aborde aussi le poids des mots, les mots qui peuvent rester,
les mots qui pèsent.
On aborde enfin la notion de survie, autant dans notre éducation que dans le système de la
santé.
Une chose que cet entretien m'a fait réaliser, c'est que, bien qu'on ait souvent
l'impression de travailler dans un système dysfonctionnel, on oublie de se rappeler que,
nous aussi, on fait partie du système.
Donc, je nous dirais, soyons bienveillants, prenons soin de nous pour mieux prendre soin
des autres.
Pourquoi t'as accepté de partager à ce projet-là?
En fait, avec ce que j'ai vécu durant mon parcours, j'ai réalisé que c'était justement
beaucoup plus répandu que ce qu'on peut penser de traverser des périodes sombres, d'avoir
des idées suicidaires, d'avoir des diagnostics de santé mentale, quand on est dans le
milieu.
Puis j'ai réalisé également que ça reste quand même quelque chose qui est super tabou, que
les gens n'en parlent pas entre eux.
Même moi avec mes amis proches dans le domaine, ça a été extrêmement difficile de m'ouvrir
et de passer par-dessus l'idée que j'allais me faire juger.
Fait que de sortir ça le plus possible des tabous et de partager le vécu, je pense que
c'est quelque chose de super important pour réussir à faire évoluer la pensée et à faire
en sorte que
certaines personnes qui vont écouter ce genre de balado vont réaliser qu'elles ne sont pas
toute seules et qu'elles vont pouvoir aller chercher de l'aide à leur tour.
Et pourquoi tu penses qu'on est de même ?
D'emblée, on a encore un peu la culture de la surperformance et de la perfection dans
notre domaine.
Tendance à oublier qu'on est des êtres humains, nous autres aussi, et qu'on doit toujours
être parfaits, être performants, ne pas manquer de shifts de travail.
La performance avant tout, puis l'efficacité, puis le fait d'être 100 % empathique 100 %
du temps...
Je pense que c'est facile de s'oublier, puis c'est facile après ça de juger.
En même temps, les gens travaillent tellement fort pour se rendre là où ils sont que
j'imagine que des fois tu regardes un autre, que ça va moins bien, des fois ça peut être
difficile de...
de comprendre un peu ce qu'il vit.
C'est drôle parce que je parle à de plus en plus de soignants, puis tout le monde me dit
que c'est tabou ou de la culture justement de l'ultra-performance...
Mais autant tout le monde est d'accord avec ça, personne n'en parle.
Je sais.
Ce matin dans Medscape, il y avait un article avec une docteure, Jessi Gold, qui a écrit
un livre, "How Do You Feel?".
C'est une psychiatre
qui fait sa pratique particulièrement auprès des soignants.
Puis elle dit "Chaque fois pratiquement que je rencontre une personne pour la première
fois, à la fin, elle finit par dire 'Je n'ai jamais dit ça à personne, j'ai vraiment
l'impression que je suis seul à me sentir comme ça, je ne vois pas comment je pourrais
faire part de ça à mes collègues'".
En réalité, on est plein à le ressentir.
Quand tu t'ouvres, en tout cas moi quand
j'ai fini par m'ouvrir, ça a été pratiquement juste du positif, de la compréhension et de
l'entraide après ça.
La souffrance des soignants est très solitaire, je trouve.
J'ai jamais vu quelqu'un dire "J'aurais besoin de jaser, j'ai eu une journée difficile,
puis je pense que je me sens moins bien".
Ça mène à des situations des fois où ça peut s'accumuler, ça peut mener à des gens qui
s'enlèvent la vie, à des gens qui quittent le métier...
Même si tout monde est d'accord qu'il y a un manque d'ouverture et qu'on devrait le faire
plus, les gens ont quand même de la misère à passer cette étape-là.
C'est d'être le premier finalement.
Après ça, c'est une avalanche.
Je suis d'accord avec toi, l'hôpital, c'est sûr, des fois, ce n'est pas l'endroit ou le
moment...
On n'est pas dans un état d'esprit non plus pour partager la souffrance ou accueillir la
souffrance nécessairement.
Souvent on est de garde, puis...
fatigué...
Il faut finir la journée.
C'est ça.
À l'inverse, ça m'est arrivé où est-ce qu'il y a eu des gens que, visiblement, j'ai vus
qui n'allaient pas.
Parce qu'il y avait des changements de comportement, de l'irritabilité, des colères, alors
que, habituellement, ce ne sont pas des personnes colériques.
De me dire, faudrait que je lui parle...
Mais ce n'est jamais le bon temps, ce n'est jamais le bon moment, ce n'est jamais le bon
endroit.
Oui, c'est super difficile à aborder.
Est-ce que je suis la bonne personne pour lui parler de ça?
Est-ce qu'il veut s'ouvrir maintenant?
Il y a un malaise associé à ça.
Oui, une grande maladresse aussi, je trouve, des fois,
De ton côté, trouves-tu par contre que ça a été positif les fois où tu t'es ouvert?
Oui vraiment, auprès d'amis dans le domaine.
Moi justement j'étais externe, j'étais résident dans les moments où c'est arrivé.
La première fois que ça m'est arrivé en tant qu'externe quand j'ai commencé à faire une
dépression...
Ça a été une mauvaise première expérience qui a mené vers mon année sabbatique.
Mais la première personne avec qui j'avais été en parler était une superviseure.
Je me suis dit que ça ne fonctionne pas, je ne me sens pas bien.
Je pleure le matin en me réveillant, je pleure le soir en revenant de l'hôpital.
Tout ce que je fais, c'est dormir et aller à l'hôpital.
J'ai été la voir et elle dit "Écoute, c'est ça ta vie maintenant, il faut que tu t'y
fasses ou sinon t'es pas dans le bon domaine."
Ça a été la première chose qui m'est arrivée.
Ça m'a complètement chamboulé.
Probablement que je ne suis pas dans le bon domaine.
Je n'ai pas d'affaires ici.
Ce n'est pas ça que je veux que ce soit, ma vie.
Ce qui m'a mené à prendre mon année sabbatique.
Initialement, c'était "Je pars, je ne reviens pas, c'est fini".
Si c'est vraiment ça, le milieu dans lequel je m'en vais, ça ne m'intéresse pas du tout.
Puis à partir de ce moment-là, quand j'en ai parlé avec l'université, eux autres ont dit
"OK, ça s'est mal passé, mais on ne pense pas que c'est représentatif.
Ils m'ont amené du support, ils ont dit "OK, prend du temps de repos, c'est correct, on
comprend ça.
Si tu décides de revenir, on va te réaccueillir.
Sinon, c'est parfait, mais on ne va pas te désinscrire tout de suite du programme.
On pense que tu es comme dans une mauvaise situation et que tu as besoin de prendre du
temps de repos et d'y réfléchir".
Ils m'ont fourni de l'aide psychologique, un médecin qui m'accompagnait.
Puis après ça, j'ai eu beaucoup de support d'amis dans le programme.
Après ça, le positif a déboulé et je me suis senti vraiment accompagné et supporté.
Ça a juste adonné que je n'ai pas choisi la bonne première personne pour aller en parler,
définitivement.
Mais ça aurait pu faire une énorme différence aussi.
Je ne lui en veux pas du tout, mais c'est ça.
Des fois, ça peut faire une énorme différence, quand quelqu'un prend la peine de venir te
parler et d'admettre que ça ne va pas, la façon dont on réagit.
On sous-estime souvent le poids des mots.
Oui, définitivement.
C'est drôle parce qu'on l'apprend dans notre métier à quel point ça a une importance.
Mais après ça, quand c'est plus dans le privé, quand les gens viennent nous voir, on
dirait que ça prend le bord des fois.
Une chose qui revient souvent, c'est que ce n'est pas un problème de connaissances.
On sait quoi faire, on sait comment le faire, mais c'est de passer à l'action qui est
difficile.
Complètement.
Je pense qu'il y a eu un effort qui a été fait, il y a des ressources qui sont mises en
place, il y a certaines mesures qui ont été prises dans le milieu de la santé pour les
soignants s'ils sont en difficulté.
Je pense par exemple au PAMQ, qui est le programme d'aide aux médecins.
C'est de faire le step, de faire le pas qui reste vraiment difficile.
Les gens ont peur du jugement, les gens ont peur de comment ça pourrait les affecter dans
leur vie professionnelle.
On dit que c'est moins tabou maintenant, mais imagine-toi dire à un de tes résidents "Il
faut que je parte à 4 heures aujourd'hui parce que j'ai un rendez-vous chez le dentiste"
versus "Il faut que je parte à 4 heures aujourd'hui parce que j'ai un rendez-vous chez le
thérapeute".
Est-ce que tu vas être autant à l'aise de dire l'un que l'autre?
On est parfois nos pires ennemis entre nous et envers nous-mêmes.
Mmh, définitivement.
Je pense que pour la majeure partie d'entre nous, il y a une bienveillance puis justement
un souci de notre communauté médicale, de notre communauté de soignants.
On partage tellement de choses durant notre parcours, parfois même traumatisantes ou
stressantes ensemble.
De se dire "OK, moi aussi je trouve ça difficile ou moi aussi je traverse des
difficultés".
La première fois que ça nous arrive, en tout cas je vais parler pour moi, mais j'ai vécu
ça comme un échec.
Et puis c'était mon premier échec.
On est tellement justement dans la culture de performance et dans la culture de la
réussite constante que ça vient tellement heurter un peu tout ce qu'on a comme valeur.
Tu parlais de l'identité du soignant aussi dans l'entrevue
avec la psychiatre.
Ça devient tellement tout notre monde aussi que c'est comme si tu échouais à ta vie
entière.
Ça prend l'entièreté de la place de ta vie, c'est comme si ton monde s'écroulait au grand
complet.
Quand ton monde s'écroule, c'est sûr que c'est difficile des fois d'avoir les outils et
l'accompagnement pour se reconstruire et de se donner la permission aussi d'avoir vécu un
échec.
Oui, définitivement.
Ça prend du temps, ça prend de l'aide.
C'est pas facile d'accepter de passer par là.
Comme tu disais, des fois on est nos pires ennemis.
On ne se donne pas beaucoup de latitude à nous-mêmes pour avoir des moments de faiblesse.
Des fois, on a l'impression que, au contraire, que tout monde autour de nous réussit.
Ça doit être moi qui suis faible, finalement.
C'est quelque chose que je me disais.
Ça doit être moi qui n'a pas bien agi ou qui n'est pas capable de s'adapter.
Tout le monde en traverse, des échecs, mais c'est juste qu'on les cache, on essaie que ça
ne sorte pas au grand jour.
C'est tellement facile de se sentir seul et isolé dans ce genre de situation-là parce que
les gens, ils gardent ça pour eux-mêmes.
On est très bon pour cacher.
J'appelle ça le masque des soignants.
Notre masque de docteur ou...
Des fois, j'ai ma voix de docteur, mon attitude de docteur envers les patients.
C'est sûr que je ne suis pas pareil que dans la vie de tous les jours.
Même un peu à l'hôpital avec les collègues, c'est sûr que
je choisis un peu ce que je veux révéler de moi-même.
Je suis à la base une personne relativement introvertie.
C'est sûr que ce n'est pas un réflexe pour moi de s'ouvrir.
J'ai développé un talent pour montrer ce que je voulais montrer et que les autres voient
ce que je voulais qu'ils voient.
Je pense que c'est normal jusqu'à un certain point de développer ce genre de masque-là, de
carapace-là.
Ça rend ça plus difficile une fois que t'aurais besoin d'aller partager ton vécu avec
quelqu'un, de t'ouvrir.
Ils vont tomber de haut, s'ils ont vu juste cet aspect-là de moi.
J'aurais besoin d'aller en parler avec quelqu'un, mais je ne sais pas trop nécessairement
comment l'aborder ou comment ils vont l'accueillir.
Je pense qu'il finit toujours par y en avoir des signes que quelqu'un va moins bien.
Tu le mentionnais tantôt, même auprès de collègues que je ne connais pas nécessairement
personnellement.
Quelqu'un qui commence à être plus sec, à être irritable, à perdre patience sans raison.
Moi aussi, ce sont des choses qui me sont arrivées quand je commençais à ne plus me
reconnaître.
Je faisais une activité que j'aimais et je me fâchais pendant cette activité-là.
Je perds patience sans raison.
Je pense qu'il finit toujours par y avoir des signes.
C'est juste, est-ce que les gens sont attentifs?
Ça c'est une autre histoire.
Ou est-ce que les gens osent les aborder?
Justement, toi, avant de frapper ton mur, il y avait probablement eu des signes
avant-coureurs, des signaux de détresse.
Est-ce qu'on t'avait tendu des perches?
Ma famille.
Ma famille l'avait fait.
Pour le reste, moins.
Je t'avouerais que moins.
Ma carapace était pratiquement totale.
C'était un peu cette impression-là de complètement m'oublier en tant que personne.
Je pense que j'avais un peu tort là-dedans aussi parce que quand j'ai décidé de revenir
après mon année sabbatique, je me suis dit je vais essayer de changer justement cette
vision-là.
Je vais essayer de juste rester moi-même.
Je suis quand même quelqu'un d'assez expressif, assez extroverti.
Si ça ne passe pas, si les gens n'apprécient pas ça, ou si dans mes milieux de stage ça ne
passe pas, c'est probablement parce que au final je ne suis réellement pas à la bonne
place.
Puis en fin de compte ça m'a beaucoup aidé.
Ça a fait en sorte que j'ai développé plus de liens avec les résidents et les superviseurs
que je côtoyais.
Il y a eu plus de fraternité, d'entraide, d'écoute, de moments intéressants que j'ai
vécus.
Ça a rendu le reste de mon parcours beaucoup plus agréable.
Donc finalement, de donner accès, ça t'a aidé.
Oui, définitivement.
Quand j'ai commencé mon externat, j'avais 21, 22 ans.
Je n'avais rien vécu.
Tu as juste eu des réussites, t'es premier de classe.
On est des gens qui réussissent pratiquement tout ce qu'ils entreprennent.
T'essaies de faire de ton mieux et là tu frappes un mur complètement.
C'est d'autant plus déstabilisant parce que t'as aucune expérience de vie, t'as aucune
vision d'ensemble, aucun recul par rapport à ça.
T'es la face dedans et tu te dis je suis un échec finalement.
Je dis souvent que la médecine, c'est un trouble d'adaptation chronique qui dure des
années.
Parce qu'on est tous d'accord qu'il y a un problème de culture, puis que le système ne
nous aide pas.
Au lieu de changer la culture, de changer le système, on demande aux individus d'être
résilients.
Moi, la résilience, là, je ne suis plus capable d'entendre ce mot-là parce que c'est de
sous-entendre que c'est l'individu, le problème.
Puis que c'est de ta faute si tu ne t'adaptes pas.
Oui, on l'a vu beaucoup pendant la COVID aussi, je pense.
Les fameux "anges gardiens".
On va juste dire que vous êtes bons parce que vous arrivez à passer au travers.
C'est la fameuse résilience.
Chaque mois, on change de milieu de stage.
Chaque semaine, des fois chaque jour, on change de patron.
Chaque patron a ses petites manies, ses particularités.
Quand je suis arrivé à la résidence, j'étais déjà plus affirmé comme personne.
J'avais trouvé un peu plus ma place là-dedans et je savais que je voulais faire ça dans la
vie.
Mais là, j'ai frappé un deuxième mur, peut-être un peu moins violent que la première fois,
quand j'ai commencé à faire des soins critiques, de l'urgence, des soins intensifs.
Parce que ça se passait super bien, mais dans ma tête ça se passait vraiment pas bien.
Je faisais des crises de panique avant d'arriver à l'hôpital le matin.
Quand je faisais des réas, je paniquais, ça tournait.
Comme tu disais, on est bon pour le cacher, mais c'était exactement ça que j'avais appris
à faire.
Les patrons avec qui je travaillais étaient comme, tu as l'air en contrôle, tu as l'air
calme, détendu.
On dirait que tu sais où tu t'en vas.
J'étais rendu bon pour le faire paraître,
mais dans ma tête, je paniquais.
Le patron me demande c'est quoi mon objectif de la journée.
Puis j'ai répondu : survivre.
J'ai aimé ça parce que la personne avec qui j'étais a reflété et dit,
"Parce que ça te stresse d'être ici?
Tu te sens stressé par rapport à ta journée aux soins?"
Juste le fait de prendre ce petit 30 secondes d'ouverture de la journée, ça a été super
positif et ça a calmé le niveau d'anxiété x 1000.
La majorité des gens vont être super réceptifs et compréhensifs, mais c'est le faire qui
est extrêmement difficile.
On ne sait pas ce qui se passe dans la tête de l'autre la majorité du temps.
On n'a aucune idée.
J'ai des externes de temps en temps, j'ai des résidents relativement souvent.
Puis j'essaie justement de me remettre à cette étape-là de ma vie, à l'endroit où ils
sont, en fonction du bagage qu'ils ont.
Puis de m'adapter justement, puis de les aider à dédramatiser.
Parce que des fois justement, on est tellement dans notre tête qu'on oublie qu'on est
capable.
Et d'avoir des patrons, comme tu sembles l'avoir eu de temps en temps, qui ont compris ça,
ça peut faire une grosse différence.
Une énorme différence.
Et je pense que quand on l'a vécu, quand on a traversé une période comme ça,
ça aide justement à remettre en perspective et à se rappeler de comment on pouvait se
sentir quand on était dans leurs souliers et à quel point certaines journées ça pouvait
être difficile, anxiogène, déprimant, etc.
Qu'est-ce que ça a changé, pour toi, dans ton approche avec les patients, avec tes
collègues, envers toi-même?
Accueillir l'émotion, comme être capable
d'être plus attentif aux signes de quand visiblement ça atteint la personne, que ce soit
un apprenant ou un patient, puis d'être capable de refléter là-dessus.
On s'entend qu'une fois que tu as traversé une période plus difficile où tu as eu des
idées suicidaires, tu sais...
C'est sûr que ça fait en sorte que quand quelqu'un va venir te voir et il va mentionner
qu'il a des idées suicidaires, tu vas peut-être être plus compréhensif, tu vas peut-être
plus faire attention à comment tu réagis face à ça et à comment tu l'abordes parce que tu
sais à quel point ça peut avoir un impact sur les choses.
Aussi, de juste se souvenir que la personne devant toi, c'est un être humain.
Ça vient fréquemment d'un mal-être profond.
On est exposés à des situations hyper stressantes.
Les attentes envers nous sont hyper élevées.
Est-ce que tu as l'impression qu'on est bien outillés pour gérer cette souffrance-là?
Non.
Non, je ne pense pas.
Mais j'aurais de la misère à suggérer exactement comment mieux le faire.
On dirait que c'est quelque chose qui est une partie inhérente de notre emploi.
Si justement tu pouvais rencontrer Samuel, il y a 10 ans, 15 ans, avant de débuter ton
parcours, tu t'avertirais de quoi?
Tu te mettrais en garde de quoi?
La première chose ça serait de me dire, soit doux envers toi-même, et permet-toi toi de ne
pas être toujours parfait.
Je pense que c'est la chose la plus importante que j'aurais voulu avoir comprise plus tôt.
Arrête d'essayer de plaire à tout prix.
D'essayer de focusser plus sur
les choses qui te font du bien, le positif, que tu as l'impression qu'ils vont te faire
grandir, plutôt que de toujours penser au négatif.
Et de ne pas avoir peur de s'ouvrir.
Mais ça, c'est toujours plus facile à dire qu'à faire.
Oui, bien, c'est ça.
Ça revient aux connaissances, justement, la théorie qu'on est excellents à apprendre par
cœur.
Mais c'est de se l'approprier finalement, puis de le comprendre assez pour être capables
de savoir quoi faire avec quand ça nous arrive.
On traverse beaucoup de situations qui peuvent être éprouvantes, traumatisantes.
Il faut constamment faire preuve d'empathie dans notre quotidien.
Après ça, je pense que ça peut mener un peu à l'épuisement d'empathie.
Tu as tellement passé la journée à écouter des gens qui parlent de leurs problèmes,
après ça, tu te sens un peu comme vidé de cette empathie-là.
Puis là, après ça, tu te mets à la place de l'autre personne qui se dit, je vais moins
bien, j'aurais besoin d'aller voir quelqu'un, mais je ne veux pas non plus le déranger
parce qu'il a tellement justement écouté des gens parler de leurs problèmes toute la
journée que je ne veux pas être comme la cerise sur le sundae,
Je pense que ça contribue au fait d'avoir de la difficulté à s'ouvrir.
Ce que tu nommes, en fait, dans mes lectures, dans mes rencontres, j'ai appris que ça a un
nom, c'est la fatigue compassionnelle.
Parce qu'on a des batteries d'empathie et il y a une limite éventuellement à ce qu'on est
capable de donner.
Quand on a tellement absorbé pendant longtemps,
bien c'est sûr que là, à un moment donné, on atteint un niveau où est-ce qu'on n'est plus
capable de redonner.
Même quand nous on est vides, en tout cas je vais parler pour moi, quand je me savais
vide, je me suis présenté au travail, j'ai fait mon job, j'ai répondu aux attentes.
Puis après ça, je me suis dit, s'il me reste du temps, je prendrai soin de moi, ce qui
n'est jamais arrivé.
On veut faire bonne figure et continuer à fonctionner quand même.
Ne pas laisser tomber nos collègues, ne pas avoir l'air de celui qui quitte le bateau ou
qui saute en bas parce que ça va moins bien.
Ça fait en sorte qu'au final, on finit par couler encore plus.
Ça vient avec beaucoup de culpabilité, la souffrance.
Vraiment.
Je me vois dans mon rôle en ce moment.
J'ai 800 patients au bureau, mes gardes d'hospit, je fais de l'enseignement, puis je suis
tout seul dans ma clinique de toxicomanie.
Si un moment donné, je dis que j'ai besoin d'un arrêt, c'est clair que je vais me sentir
super coupable pour l'entièreté de ces choses-là.
Je pense que ça rend ça encore plus difficile d'admettre qu'on a besoin de se reposer.
Puis ça m'amène à toucher au sujet des solutions.
Justement, si on reprend ton exemple de ta réalité actuellement, le niveau de
responsabilités que tu as, les attentes que le système, que les patients ont envers toi,
on s'entend qu'on va toujours traverser des périodes difficiles.
Donc...
ça risque de t'arriver encore.
Comment tu penses pouvoir gérer ça?
C'est une bonne question.
J'essaie de me convaincre que j'espère que ça ne pas réarriver, mais on s'entend.
Je suis probablement dans l'aveuglement volontaire du fait qu'il y a toujours un risque
que ça arrive.
On revient aux ressources de façon générale.
Le fait que le système soit autant débordé fait en sorte que tu te sens encore plus mal si
toi tu dis "OK, mais je suis un soldat là-dedans et si moi il faut que je m'en aille, ça
va encore plus poser de pression sur le reste du monde".
C'est l'augmentation des ressources de façon générale.
Ça se fait pas du jour au lendemain mais...
Ça permet de relâcher un petit peu la pression sur tout le monde et d'avoir un petit peu
plus de place pour s'adapter si jamais il y en a un qui doit prendre un moment de repos.
Je me sens aussi assez privilégié du fait qu'en ce moment dans le milieu que je suis,
c'est un endroit que je sais, connaissant les gens, que j'aurais du support, que les gens
seraient compréhensifs, que ce ne serait pas dans le jugement.
Je pense que de s'entourer de ce genre de collègues-là, ça aide, mais c'est dur à savoir
quand tu finis ta résidence et que tu choisis une clinique.
Une chose que tu nommes, puis je n'ai pas la solution à ça, c'est qu'on est très souvent
dans l'attente que l'élastique pète.
Puis on va tirer dessus jusqu'à temps que ça fonctionne en se disant que quand ça pètera,
on gérera.
Mais donc on est très dans la réaction.
On sait qu'il y a des problèmes qui vont arriver, que des gens vont avoir des difficultés.
Il y a des ressources pour quand ça ne va pas bien, mais on n'agit pas avant.
On ne prévient pas.
Non, définitivement.
Je pense que c'est le signe d'un système surchargé ou malade, de ne pas être capable de
faire de la prévention et d'être constamment réactionnaire.
Le fait de manquer de ressources au niveau de la santé mentale fait en sorte qu'on peine
déjà à traiter ceux qui sont en crise, qu'on n'arrive pas à offrir des soins à ceux
qui en auraient besoin avant de tomber en crise.
Et puis c'est ça, je n'ai pas non plus de solution parfaite pour ça.
Je pense que de mon côté, le fait que l'élastique ait déjà pété une fois fait en sorte que
j'ai appris un peu à avoir certains trucs pour essayer d'éviter que ça se reproduise sans
dire que c'est...
la panacée puis que je suis certain que ça ne pas réarriver.
J'ai mis en place certaines choses dans ma vie qui font en sorte que je sais que ça me
relâche du stress, que ça me fait du bien.
Ça reste quand même relativement simple, juste le sport, le fait de réserver du temps pour
ma vie sociale, d'accepter que je ne suis pas uniquement ma job puis que j'ai d'autres
choses autour qui me font du bien puis qui me permettent de me reposer puis de décrocher.
C'est tellement important.
C'est facile de se laisser envahir par le fait qu'on pourrait toujours en faire plus dans
notre métier.
Tout le temps, on a tout le temps plus de demandes.
Si on n'apprend pas à dire non puis à se respecter là-dedans, c'est facile d'être
submergés complètement.
C'est difficile de mettre ses limites parce que justement ces limites-là viennent avec la
culpabilité de se dire "Si j'en fais moins, les autres vont devoir en faire plus".
De se dire aussi qu'il y a tellement d'attentes envers moi puis les patients ont des
besoins qui sont infinis
Et ça, c'est quelque chose que ça m'a pris du temps à comprendre, qu'il n'y en aura pas de
fin.
Il n'y en aura pas de bout où est-ce je vais dire "Bon, c'est fini, mon travail est fait,
je vais aller me reposer".
Non, je pourrais tout le temps en faire un petit peu plus, je pourrais faire un peu plus
de consultations, je pourrais prendre un peu plus de temps avec mes patients...
Parce que je me dis que
les moments où est-ce que j'apprécie justement mon métier, ce sont les moments où est-ce
que j'arrive à prendre mon temps puis à connecter avec les gens.
Mais de faire ça, ça prend du temps.
Puis des fois, on a l'impression qu'on n'en a pas, de temps.
C'est une ressource qui est finie.
Il y a 24 heures dans une journée.
Il faut répondre à nos besoins.
Puis les besoins des patients et leurs attentes
sont hyper élevés.
C'est difficile de trouver un équilibre dans tout ça.
Oui, totalement.
Tu te dis "OK, je vais prendre plus de temps avec mes patients"...
mais t'en as moins pour toi.
Je pense que ce que tu dis dans le fond, c'est qu'il faudrait être capable de plus
partager le fardeau, le fardeau des soins.
Mais si on ne peut pas avoir plus de bras, une chose qui est aussi difficile à comprendre
au début, c'est que quand un soignant pète au frette, tombe au combat,
ce n'est pas une diminution, c'est une perte pour toute la société.
Oui, les patients ont des attentes, oui, le système a des attentes, puis on a beaucoup de
privilèges, je pense, comme médecins, comme soignants.
On a un métier qui est extraordinaire.
Mais le revers de la médaille, je pense, c'est que si on ne prend pas soin de nous et
qu'on perd ces ressources-là, c'est encore pire.
Oui.
Je pense que c'est tellement primordial de prendre ce moment-là pour se dire qu'il faut
absolument que je prenne soin de moi.
Ça revient à moi.
On le sait un peu aussi en silence que dans un système surchargé, tout monde se sent un
peu à bout.
Comme tu disais, il n'y a jamais de fin.
Ça rajoute à la culpabilité de tomber au combat,
de se dire que je sais que je ne suis pas le seul nécessairement là-dedans qui se sent
surchargé, qui trouve qu'il manque de temps pour soi, ça va en rajouter sur les épaules de
ceux à côté de moi, puis peut-être que c'est ça qui va les faire tomber aussi.
C'est pour ça que moi je pense justement, comme tu dis, qu'au final, il y a juste nous qui
pouvons penser à nous.
Il y a juste nous qui pouvons prendre soin de nous.
Puis je pense que oui, le système dans lequel on vit est très imparfait, mais à un moment
donné, il va falloir arrêter d'attendre que le système change pour prendre soin de nous
parce que le système ne prendra jamais soin de nous.
Il va falloir, nous, s'organiser pour prendre soin de nous, pour prévenir justement, parce
que les ressources de crise ne sont pas infinies.
On est tout le temps en mode de gestion de crise, d'intervenir là où le feu est pris.
Mais on ne fait rien pour empêcher que le feu prenne.
Puis on ne peut pas s'attendre
à ce que les exigences diminuent magiquement.
Donc, je pense que c'est notre responsabilité de trouver une façon, un endroit de le
faire.
Ouais, vraiment.
Pis de tendre la perche aussi.
En conclusion, il y a plusieurs soignantes, soignants, des proches, des personnes qui
s'intéressent aux soins qui vont écouter ce balado.
S'il y avait une chose que tu aimerais transmettre ou que tu aimerais que ces personnes-là
comprennent, ce serait quoi?
Ce serait d'être indulgents envers eux-mêmes et envers les autres, d'être compréhensifs,
tout simplement.
Je pense que ça fait tout un monde de différences d'accueillir les propos des autres et de
ne pas trop s'en mettre sur les épaules et ne pas se taper sur la tête.
Merci beaucoup pour l'heure qu'on a passée ensemble.
Comme chaque fois, je ne prévois jamais où ça va aller, donc je suis un peu le cours de la
conversation.
Je suis très reconnaissant du partage que tu as fait.
Ça m'a fait plaisir, c'est super intéressant.
Merci pour l'invitation.
À bientôt.
Écoutez Soigner jusqu'à se briser sur ces plateformes de podcasting.