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Épisode 0.7 : C'est correct d'aller moins bien (et de le dire!) – Dre Chantal Vallée, interniste Épisode 7

Épisode 0.7 : C'est correct d'aller moins bien (et de le dire!) – Dre Chantal Vallée, interniste

· 53:28

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Et puis c'est cette accumulation-là en bout de ligne qui devient problématique à moment
donné.

À force de reporter, à force de ne pas adresser, à force de ne pas analyser en temps
opportun, c'est là qu'à un moment donné le presto peut sauter.

C'est ça qui nous menace si on n'y prend pas garde.

Bonjour et bienvenue à "Soigner jusqu'à se briser".

Je m'appelle Steven Palanchuck et aujourd'hui pour ce septième épisode hors série, ça me
fait vraiment plaisir de vous présenter ma conversation avec Dre Chantal Vallée.

Chantal a plusieurs chapeaux.

Elle est entre autres spécialiste en médecine interne générale et chef du département de
médecine spécialisée au CISSS de la Montérégie-Centre.

Elle est une soignante remplie d'une grande humanité et une communicatrice hors pair.

Elle est pour moi une mentore et un modèle de rôle depuis maintenant déjà plus de 15 ans.

Dans cet épisode, on parle de plusieurs choses.

Entre autres, on parle de l'importance d'agir dans l'action quand on constate qu'une ou un
collègue semble vivre des moments plus difficiles.

On parle aussi du privilège qu'on a de pouvoir soigner et de suivre des patients et leur
famille pendant plusieurs années, et de parfois faire une petite différence.

On parle aussi de l'importance de réaliser que nous sommes en tout temps des modèles de
rôle pour autrui, autant pour le meilleur que pour le pire.

J'espère donc que vous allez apprécier cette conversation autant que j'ai pu avoir du
bonheur de l'enregistrer avec cette grande femme que j'admire.

Je vous souhaite donc une bonne écoute.

Donc pourquoi tu as accepté de partager à ce balado?

Parce que c'est un sujet important.

Je pense que dans nos vies respectives, on est confronté à beaucoup beaucoup de beauté, de
sens, de grandeur.

Mais en même temps, on est confronté à beaucoup beaucoup d'humilité, de difficultés, de
contraintes, de détresse.

Puis à un moment donné, ce n'est pas toujours facile de faire la part des choses entre

ce qui est beau, puis ce qui est moins beau, puis ce qui est bon, puis ce qui est moins
bon.

Puis ça peut se mêler.

Puis c'est d'en parler, je pense, qui est précieux et important parce que quelque part, on
passe tous à travers ces moments-là.

Je dis souvent que la détresse des soignants, c'est une expérience qui est très solitaire
parce qu'on a souvent l'impression d'être les seuls à être mêlés justement entre le beau

et le moins beau.

Moi-même, j'ai eu des périodes où est-ce que j'avais l'impression que j'avais perdu le
sens de pourquoi je faisais ce métier-là.

Ce n'est pas toujours facile à retrouver.

Mais tu as raison de dire que je pense que c'est très solitaire, c'est très individuel
comme position.

On est lié en partie aussi par le secret professionnel, puis le fait de ne pas vouloir
trop divulguer d'informations.

Des fois, ça nous fait perdre un peu l'ensemble du tableau.

Ça nous empêche de prendre un peu de recul.

On est très dans le "un pour un" avec la situation dans laquelle on est impliqués.

Cette difficulté-là à prendre du recul, on dirait des fois que ça nous recale un peu dans
notre impression d'être vraiment tout seul.

Puis à partir du moment où on ouvre un peu la porte puis on se met à en parler, on se rend
compte que finalement il y en a plein autour de nous qui sont passés par des moments

semblables, des expériences semblables, des sentiments semblables.

Puis la mise en commun, je pense, ça aide beaucoup après ça à pouvoir

analyser comment on se sent et être capable de prendre le prochain pas après pour
retourner vers en avant et ne pas rester dans le surplace que ça peut engendrer.

Une statistique que j'avais entendue, c'était que, quatre soignants sur cinq, si un
collègue venait nous parler, on serait toujours ouverts à accepter de parler et de se

confier aussi.

Puis c'est drôle, mais on a tout le temps l'impression qu'on dérangerait nos collègues...

Tout le monde travaille fort.

En tout cas, je vais parler pour moi, mais j'avais peur d'être un fardeau

pour mes collègues.

De me dire, eux autres aussi travaillent fort, puis eux aussi ont leurs défis, donc je
vais essayer de gérer les miens, de m'organiser tout seul.

C'est souvent un peu alourdissant comme expérience.

On est très critique de ce qu'on est, de comment on est, de comment on est perçus, même,
jusqu'à un certain point.

Donc d'ouvrir la porte pour aller demander de l'aide ou même juste demander un peu de
temps pour être écouté quelques minutes, on a l'impression qu'on va venir empiéter dans la

cour de l'autre, qui est déjà pris, qui court tout le temps, qui est entre deux feux,

qui se promène entre l'hôpital et sa famille, l'hôpital et son couple, l'hôpital et le
reste...

Je pense qu'on se freine beaucoup, alors que si on ne freinait pas, si on se donnait cette
permission-là, plus souvent qu'autrement, je pense qu'on serait bien reçus par l'autre à

qui on voudrait, on solliciterait un peu d'écoute ou d'attention.

C'est de trouver le bon endroit puis le bon moment aussi parce que souvent quand on est à
l'hôpital, on est de garde, la pagette sonne, la pression monte puis ça m'est arrivé de

voir des collègues qui étaient plus irritables ou qui avaient des changements de
comportement puis de me dire dans ma tête "Est-ce qu'il se passe quelque chose?

Est-ce que je devrais en parler?", mais on dirait que c'est jamais le bon temps, c'est
jamais le bon moment.

La vie étant ce qu'elle est, on poursuit nos routes, puis les choses n'arrivent pas.

Ces discussions-là qui pourraient avoir lieu sont un peu glissées sous le tapis.

Puis le fait de ne le faire dans l'action amène ça aussi.

Parce que là on repart à la maison, on le réfléchit, on le décortique un peu.

Ou des fois on fait juste le balayer en dessous du tapis parce qu'on veut juste pas
prendre la peine de l'analyser, de l'écouter, de le ressentir.

Puis demain se lève avec son lot d'événements, de sonneries, d'appels.

Puis finalement on n'y revient pas.

Et puis c'est cette accumulation-là en bout de ligne qui devient problématique à moment
donné.

À force de reporter, à force de ne pas adresser, à force de ne pas analyser en temps
opportun, c'est là qu'à un moment donné le presto peut sauter.

C'est ça qui nous menace si on n'y prend pas garde.

On a tous l'image de collègues qui effectivement des fois sont un petit peu plus
irritables quand on est rendu au vingtième appel de pagette.

Je pense que des fois, juste de faire un temps d'arrêt.

"Ah, vous êtes occupé!" ou de tourner ça un petit peu de façon humoristique.

Certains sont meilleurs que moi pour le faire, je n'ai pas la prétention d'être une grande
humoriste.

Mais juste des fois de balancer un petit commentaire pour un peu dédramatiser, rendre plus
léger l'atmosphère.

Des fois, ça permet simplement de dire "Eh oui, c'est vrai que ma garde d'aujourd'hui est
vraiment pas facile."

Juste le fait de le dire, le prochain appel est un petit peu moins lourd.

C'est pas parfait.

Je pense qu'on gagne à se le noter entre nous, à se l'adresser quand on le voit dans le
reflet de l'autre qui est un peu plus irritable.

Ou même nous-mêmes, des fois.

"Eh boy, c'est la vingtième fois qu'elle sonne aujourd'hui.

Je la jetterais par la fenêtre!" C'est correct de le dire.

Ça n'amène à rien de plus qu'un commentaire un peu plate.

On manque parfois ces occasions-là de pouvoir, je pense, entrer en relation vraiment
sincèrement, même si c'est pas long, même si c'est pas un investissement de temps

incroyable.

Mais que des fois ça permettrait juste d'ouvrir la porte à un commentaire.

Puis des fois à une confidence un peu précieuse qui permet d'alléger la suite de la
journée pour celui qu'on est prêt à écouter pendant ces quelques minutes.

Je me suis rendu compte souvent à quel point je n'avais aucune idée de ce qui se passait
dans la tête de certains collègues.

Des événements dans la vie personnelle qui pourraient être en lien avec n'importe quoi, la
famille, le couple, des stresseurs ou plein de choses qui peuvent venir occuper l'esprit.

À l'inverse, moi-même, j'ai eu ce mécanisme-là de montrer ce que je voulais bien montrer.

On dirait que dans le parcours de professionnalisation, on apprend à projeter une image,
justement du "docteur", du docteur bienveillant.

Tout ça fait qu'on apprend un peu à contrôler ce qu'on dégage puis ce qu'on autorise les
autres à voir de nous.

J'espère qu'on change un peu à ce niveau-là, par exemple.

J'espère qu'on se donne le droit de plus en plus

de réfléchir dans l'action, c'est une chose, mais de ressentir dans l'action aussi.

De réaliser à un moment donné que si je suis plus impatiente maintenant, c'est parce que
je suis fatiguée, c'est parce que je suis stressée, c'est parce que je suis inquiète.

C'est parce qu'à la maison, j'ai eu une conversation difficile avec mon chum ce matin.

C'est parce que

ma fille vient d'avoir un petit accrochage puis c'est difficile...

Je veux dire, je ne suis juste pas attentive au reste parce que ça m'inquiète tant que
j'ai pas eu de nouvelles.

Parce que ma maman va moins bien, parce que ma soeur est hospitalisée ou parce que mon
patient n'est pas facile au moment où je suis dans l'action à faire quelque chose.

Ça, si on est capable de le réaliser,

de se permettre ça, je pense que ça nous aide à avancer.

Cela dit, ça ne vient pas tout seul.

Ça vient avec la permission, la latitude que les autres vont nous laisser avoir de pouvoir
ressentir ça dans l'action.

Puis j'en reviens à ce que je disais au début.

Je pense que de pouvoir ouvrir la porte ne serait-ce que quelques minutes pour être
capable de le ventiler, ce ressenti-là, bien ça nous aide après ça à pouvoir être

entièrement dédié à ce qu'on a besoin de faire la minute suivante.

Ces temps d'arrêt-là, ils sont profitables, puis ne devraient pas être vus comme

du retard dans le travail, du retard dans la prise en charge, comme du temps perdu, du
superficiel.

Je pense que c'est essentiel pour être capable d'avancer après.

Je pense à ces moments où j'avais eu des gardes occupées, entre autres aux soins
intensifs, au début de pratique.

C'est sûr le début de pratique que c'est difficile.

C'est une grosse adaptation.

J'ai eu des moments où je suis tombé en surcharge cognitive.

On a une attention divisée, le stress monte.

Je faisais des attaques de panique.

J'avais besoin d'aller me calmer dans la salle de bain, respirer.

Au début, j'avais un peu honte de ça, dans le sens que "Tu n'es pas capable d'en prendre"
et de me dire, "Il faut être plus tough, tu es rendu un patron".

Donc, ce que tu nommes, les constats que tu disais par rapport à s'écouter un peu plus et
écouter nos besoins, c'est aussi de le faire dans la bienveillance, de le faire en notant,

mais en ne critiquant pas.

Puis ça, j'ai eu beaucoup de difficultés au début parce que je notais, je sentais
l'anxiété monter.

Mais je me tapais dessus pour me dire, "Bien non, faut pas, faut pas".

Alors que maintenant, j'ai encore de ces moments-là de surcharge cognitive, mais je vais
aller me retirer à la salle de bain, respirer, faire deux minutes de pleine conscience,

retourner, puis je me sens mieux.

Puis je ne me sens pas coupable de faire ça.

On est très critiques envers nous-mêmes, on est très exigeants envers nous-mêmes.

On ne tolère pas beaucoup le petit écart ou le geste qui, dans l'œil de l'autre, va être
interprété comme de la faiblesse, comme un manque de caractère, un manque de vaillance.

Alors que si on regarde en arrière, notre parcours

fait en sorte qu'on n'est pas "pas vaillants", puis on n'est pas "pas forts", puis on
n'est pas "pas travaillants", puis on n'est pas "pas efficaces".

On nous en demande beaucoup, mais on s'en demande souvent encore plus.

C'est souvent vu comme une caractéristique

de celui qui endosse la profession comme une mission.

On n'est pas en mission.

On est là pour aider, on est là pour soigner.

La majorité d'entre nous, on aime beaucoup, beaucoup ce qu'on fait.

On n'a pas besoin de le faire à se rendre malade.

Si on a le droit à moment donné, dire "Ouf!

Ce moment-là, c'était plus tough.

Il s'est passé quelque chose".

aller à la salle de bain, c'est une chose.

Dehors, ça peut être une autre affaire.

Écouter un morceau de musique tranquille, deux minutes dans ton bureau, ça peut être une
autre affaire.

Avoir une paire d'Airpods dans ta poche de sarau justement pour te couper de l'extérieur
quand ça se met à déraper un peu.

C'est probablement correct, ça nous permet de nous recentrer sur ce qu'on est, ce qu'on
vit, ce qu'on ressent.

Après ça, pouvoir avancer.

Puis on revient un peu à ce qu'on disait au début avec la recherche de sens, parce que
dans ces moments-là où est-ce que je m'en exigeais beaucoup, puis que là mon corps

commençait à se fatiguer physiquement, mentalement, émotionnellement, bien éventuellement,
je suis tombé dans le cynisme.

J'ai vu des tragédies et je suis convaincu que tu en as vues aussi.

Combien de patients on a vus qui prennent leur retraite pour finalement apprendre trois
mois après qu'ils ont un cancer

métastatique puis un mois après le diagnostic, ils sont décédés?

Des fois, la vie est injuste.

C'est difficile de faire du sens de cette injustice-là.

Après ça, de dire, moi, mon rôle là-dedans, il est où?

Quand les batteries sont à terre et que j'ai l'impression d'avoir donné tout ce que je
pouvais donner et

que là en plus je perds le sens...

C'est sûr que j'ai perdu pieds, en fait.

Puis ça a été difficile de rembarquer puis de retrouver cette impression-là au début
qu'effectivement je me sentais en mission, pour quelque chose qui est beau, qui est plus

grand que moi.

C'est une profession...

Soigner, c'est très noble.

On donne de soi et on le fait, pour la plupart d'entre nous, de manière très altruiste.

C'est désintéressé parce que ça nous nourrit à quelque part.

Mais quand on est justement dans un état qui ne permet plus d'entendre cette petite
voix-là...

J'ai trouvé ça difficile.

J'ai le goût de dire que ça dépend un peu...

Ça dépend un peu de l'état d'esprit justement dans lequel on est.

Si on n'est pas bien, c'est très difficile de pouvoir donner le meilleur de nous-mêmes.

Il faut d'abord s'occuper de nous, je pense, à un certain point pour être capable de
s'occuper d'autres.

Puis quand on se met à ne pas bien aller, il faut savoir l'admettre, le reconnaître,
l'adresser parce que sinon c'est vrai que ça nous paralyse.

Ça devient plus facile, je dirais, à tout le moins,

effectivement de tomber dans le cynisme, l'ironie, le sarcasme, le détachement.

Puis là, on perd un peu de vue.

Puis la seule chose qui nous rattache, c'est le fait de soigner.

Puis souvent, on va confondre soigner et guérir.

Puis là, guérir, ça nous met en échec bien souvent.

Parce que bien souvent, on peut accompagner bien des gens dans un parcours de maladie une
fois qu'on a fait un diagnostic difficile.

Et ça, ça a une valeur certaine.

Mais tous les guérir?

Tu sais comme moi qu'on n'y arrive pas parce que ce n'est pas juste dans nos mains.

C'est un grand exercice d'humilité qui n'est pas nécessairement toujours facile à aller
chercher et à bien cadrer.

Si effectivement, ça ne va pas bien et que le seul objectif, la seule mesure de notre
efficience devient la guérison de nos patients, et que la mort est vécue comme un échec,

c'est clair qu'on est mis en échec.

On est mis en échec bien souvent.

Ça, c'est dangereux quand on est un peu fragile parce que ça nous rentre dedans.

En fait, moi, c'est venu toucher même à mon identité comme personne parce que le parcours,
les études médicales, la résidence, les premières années de pratique...

J'avais l'impression d'être dans un train en marche qui filait de vive allure

du point A au point B au point C, puis avec des accomplissements prédéfinis.

Mais après ça, une fois rendu à la fin - ce qui n'est pas vraiment une fin finalement,
c'est un début d'une autre étape - je me disais, j'ai tellement investi dans ce

parcours-là de professionnalisation

que j'en étais venu à éteindre tout le reste.

Puis quand je n'étais plus en état d'être médecin, d'être le docteur, parce que j'avais
perçu des situations comme des échecs, c'étaient souvent mes premiers échecs.

On est habitué à réussir...

Le regard des autres est souvent fortement considéré.

Mais là quand on perd cette identité-là de médecin, je me suis retrouvé un peu devant une
grande angoisse du néant.

Je pense que tu as choisi un bon mot, il faut être humble devant la vie et la mort parce
que personne ne peut prétendre comprendre exactement ce qui se passe, pourquoi on est là.

Là maintenant,

je comprends que c'est, en tout cas pour moi, c'est pour la connexion.

Puis c'est de réussir à prendre le temps justement.

Parce que souvent on a l'impression qu'on n'en a pas de temps.

Mais les fois où est-ce que j'ai pris le temps avec les patients, avec leur famille, non
seulement ça a toujours été gagnant, mais ça a été tellement gratifiant.

Puis je me disais...

Je suis au bon endroit, je fais la bonne chose.

Là, le sens est revenu.

Mais il a fallu recharger les batteries puis avoir l'humilité de demander de l'aide.

On est souvent assis du côté du bureau du soignant.

Mais d'être du côté du soigné, ce n'est pas facile.

Ça demande beaucoup de lâcher prise.

De l'autre bord du bureau, tu as le contrôle.

Quand tu passes du côté du patient, tu as moins le contrôle.

Tu t'en remets beaucoup à celui qui est justement de l'autre côté du bureau.

Tu n'as pas le choix.

Ça fait partie des expériences de vie qui nous marquent, je pense, cette expérience
patient-là.

Je pense pas que c'est essentiel à devenir un bon médecin que d'avoir une expérience à un
moment donné où tu es assis dans la chaise de celui que normalement tu accompagnes.

Mais c'est clair que ça change la vision des choses un peu.

Moi, ça a changé mon approche, définitivement, parce qu'il y a des nuances que je me suis
mis à comprendre, en fait.

En ayant vécu de l'autre côté de quoi ça pouvait avoir l'air, je réalise le poids des mots
maintenant que je choisis, parce que j'ai été affecté beaucoup par les mots, par la

façon...

dont j'ai été vu, considéré.

Donc là maintenant, j'en suis davantage conscient.

Oui, tu as tout à fait raison.

Tantôt tu parlais de prendre le temps.

J'ai eu à l'automne dernier trois patients qui sont décédés en l'espace d'une semaine que
je suivais, les trois, depuis presque 20 ans.

Et une des conjointes de ces trois messieurs-là qui sont morts à peu de temps
d'intervalle, de trois conditions différentes dans trois contextes un peu différents,

a pris la peine de m'envoyer une carte dans laquelle elle m'a écrit que les rencontres de
son mari au bureau du médecin, en l'occurrence moi, étaient des moments que lui appréciait

énormément.

J'avais changé la vie de son mari.

Puis là, je me suis un peu prise au jeu de voir quel impact je pouvais avoir eu.

Grosso modo, c'est un monsieur que je suivais pour une maladie chronique que je voyais à
peu près 4 fois par année, 15-20 minutes minutes, pendant mettons 20 ans.

Ça fait à peu près 20 heures dans une vie de presque 80 quelques années.

C'est pas beaucoup là, mais elle tenait à le noter.

Puis elle avait l'impression que j'avais pris tout le temps du monde avec son mari, que
c'était dans ses yeux à elle ce qui ressortait de ça.

Puis il est mort à l'hôpital chez nous.

J'étais passée le voir vraiment dans les heures avant qu'il décède.

Et elle avait pris la peine de m'envoyer une carte pour me remercier.

Et ça m'a profondément touchée parce qu'effectivement, ça n'a pas besoin d'être des tonnes
de temps.

C'est dans le temps, dans la qualité du moment, dans la signification.

Puis on les marque beaucoup plus, à la limite qu'eux peuvent parfois nous marquer sur le
nombre, sur la quantité, le volume de gens qu'on va accompagner dans une année.

Bien, ce petit 4 fois 15 minutes-là pendant 20 ans a fait une différence, en bout de
ligne.

Et oui, ça résonne avec ce que tu disais dans ce sens où, effectivement, moi aussi, je me
souviens quand je me suis assise sur ma chaise puis qu'on m'a annoncé certains problèmes

de santé.

Le temps s'est presque arrêté.

Je n'ai pas été assise là pendant trois heures, mais je peux te dire vraiment comment je
me suis sentie, puis comment ça a changé ma vie d'avoir quelqu'un qui a su le faire avec

doigté, gentillesse, respect, écoute.

Qui m'a ouvert la porte à dire "Écoute, si tu t'as des questions tu m'appelles quand tu
veux".

Je n'ai jamais dérangé mais je savais que c'était accessible.

L'importance des mots, l'importance de cette espèce de bulle-là qu'on crée avec nos
patients, fait effectivement toute une différence.

Et c'est ça, je pense, vraiment, le sens qu'on doit donner à ce qu'on fait.

Et puis si on se ramène à ça, c'est beaucoup plus facile après de pouvoir vivre des
moments moins faciles ou des situations qui sont plus exigeantes, plus demandantes.

Mais il faut se ramener à pourquoi on fait ça.

Et se ramener à pourquoi on fait ça, c'est accepter que des fois on est un peu malmené par
le courant.

Ça va faire mal, ça va nous irriter, ça va nous frustrer, ça va nous faire immensément
plaisir aussi à d'autres moments.

C'est ça qu'il faut balancer.

C'est un privilège, de soigner, c'est ce que je réalise.

On est vraiment privilégié de pouvoir avoir cette intimité-là avec les gens.

Effectivement, la trajectoire de contact entre les deux vies, le médecin ou le soignant
avec le patient...

Le contact est bref,

mais tellement significatif quand on prend le temps.

C'est difficile par contre dans le système dans lequel on vit avec les exigences avec
lesquelles on doit composer de réussir à le prendre ce temps-là.

C'est ça aussi qu'on apprend à gérer au début de pratique, la quantité de patients.

Les besoins des patients sont infinis.

La population va toujours être malade, va nécessiter des soins.

Nous, on se dédit à répondre à ces besoins-là.

Mais c'est difficile à faire avec le coeur et l'humanité que ça prend quand justement il y
a autant de pression.

Oui...

Les besoins sont astronomiques, c'est clair.

Ça n'ira pas en s'améliorant pour plein de raisons.

C'est fou de penser que depuis un peu plus de 20 ans, ça s'est quand même complexifié et
alourdi.

C'était déjà complexe et difficile.

C'est encore pire.

C'est encore plus demandant.

C'est encore plus prenant.

Puis on peut perdre pied, je pense encore plus facilement maintenant parce que justement
quand tu complexifies une structure puis qu'en bout de ligne, ça devient vraiment

difficile à gérer puis à mettre des limites parce que justement on invoque qu'il y a
tellement de besoins, donc on pourrait toujours donner un, deux, trois, quatre

rendez-vous.

On pourrait toujours faire une, deux, trois consultations de plus à la fin de la journée.

On pourrait toujours être disponible une heure avant le matin et une heure après le soir
pour répondre à la demande à l'urgence ou à l'hospitalisation.

On pourrait toujours.

Il ne faut juste pas s'oublier là-dedans.

Pour être bien, il faut avoir du temps pour faire autre chose.

Il faut être capable de pouvoir s'occuper de soi, de s'occuper de ceux qu'on aime.

Ils ont aussi besoin de nous autres, cela dit.

Il faut être capable de prendre du temps pour réfléchir à ce qu'on fait et pourquoi on le
fait.

Parce que c'est ça qui fait qu'on est capable de continuer après.

Il n'y aura pas d'autre moyen que de le nommer, ça, pour que les gens comprennent bien
qu'à un moment donné, on ne peut pas tout faire.

Ce système-là a actuellement bien besoin d'amour pour être capable de continuer d'avancer.

On se fait mettre souvent ou on se place souvent dans des situations dans lesquelles on
vient à penser qu'on est irremplaçable, qu'on est indispensable.

On maintient la pression jusqu'à tant que les gens craquent.

Puis quand les gens craquent, ce n'est pas une réduction, c'est une

Et puis ces pertes-là, mon opinion, c'est que souvent elles auraient pu être évitées ou
minimisées si on était intervenu bien avant, puis qu'on avait écouté les besoins.

La centralisation amène la déshumanisation des structures.

Le modèle "une taille unique" fait en sorte qu'effectivement, si on applique le même
système de quota à travers tous les centres de soins, tous les blocs opératoires, toutes

les cliniques, tous les blocs d'endoscopie, parce que c'est ça la règle,

bien ça fait en sorte qu'effectivement ça ne laisse pas de marge de manoeuvre à l'imprévu.

Dans notre job, l'imprévu, c'est quotidien.

Je veux dire, c'est quotidien.

On joue avec ça tout le temps.

Il faut se donner la chance puis le droit de dire qu'à un moment donné, dans une journée,
ça se peut qu'on soit un petit peu moins performant.

Chiffre parlant, on s'entend, pas nécessairement humainement parlant.

Peut-être que tu as besoin de réduire un petit peu.

Nos structures ne sont pas aptes à pouvoir gérer cette individualisation-là.

C'est très difficile de pouvoir faire de la place

aux médecins, individus, personnes humaines qui arrivent avec ce qu'ils peuvent apporter,
l'aide qu'ils peuvent donner, mais des fois, avec une certaine limitation pour différentes

raisons.

On n'est pas bon à accommoder ça.

On n'est pas capable de le faire parce que les structures sont trop grosses, parce que les
structures obéissent à des commandes que la structure elle-même ne contrôle pas.

De la reddition de comptes à faire.

Ça, c'est administratif, ce n'est pas humain, mais cette pression-là, c'est nous autres
qui en sommes victimes et qui la sentons au quotidien.

J'ai eu plusieurs entretiens avec des soignantes, des soignants, puis une phrase qui
revenait souvent, c'est "On n'a pas le droit d'être malade."

C'est sûr que la pandémie a été un contexte différent, mais il y a une grande culpabilité
de se dire qu'on abandonne.

C'est comme dans les règles premières qu'il faut respecter, ne pas abandonner le patient.

Donc ça vient avec une culpabilité quand nous-mêmes, on est malade.

Effectivement, cette balance-là, la culpabilité envers les patients, mais la culpabilité
envers les collègues aussi.

Imagine, tu ne te présentes pas une journée alors que tu es malade, que tu es de garde,
que c'est compliqué parce que tu fais rentrer une autre personne, qu'elle avait prévu

d'autres choses cette journée-là.

Je veux dire, de la culpabilité, name it, on peut en parler longtemps.

On l'a à plein d'égards, on l'a envers nos patients, on l'a envers nos collègues.

On l'a même envers, des fois

la secrétaire qui va devoir annuler notre clinique justement parce qu'elle va se faire
répondre par les patients que ça n'a pas d'allure, que le docteur annule.

C'est dur de briser ce tabou-là parce que ça fait tellement partie de notre culture, puis
aussi de la manière dont nos soins sont organisés.

Puis justement, quand tu parles des collègues, c'est sûr qu'il y a une collégialité, il y
a une solidarité

entre médecins, entre soignants, qui fait souvent que si moi j'en fais moins, mais les
autres vont devoir en faire plus.

Puis les autres en font déjà beaucoup.

Les autres, des fois, ont leurs propres difficultés.

Donc de se dire que j'en rajoute une couche de plus parce qu'il faut que je pense à moi,
c'est dur de se sortir de ce cercle-là.

Ça nous ramène à ce qu'on disait en début, de prendre le temps, de dire "Ah, j'aimerais
ça, mais je vais alourdir sa journée".

On est toujours là-dedans, à se contrôler, à se freiner pour ne pas déranger, pour ne pas
amplifier le malaise de l'autre, la surcharge de l'autre, la lourdeur de travail de

l'autre.

On est un peu conditionné à penser comme ça, je pense, jusqu'à un certain point.

C'est ça qu'il faut briser.

Je pense que la minute où on va se rendre compte, qu'on va se rendre compte
collectivement, que ces quelques minutes-là qu'on s'accorde à se supporter font en sorte

qu'on est bien plus performant.

Et quelque part, on gagne en temps.

Et quelque part, on gagne

en sens aussi parce que la minute où on s'ouvre puis qu'on réalise qu'on est tous dans le
même bateau puis qu'on sent tous la même chose.

Bien nécessairement, ça ne peut pas faire autrement que de renforcer les liens entre nous
puis de nous aider à pouvoir affronter un quotidien qui n'est pas simple, difficile

parfois humainement demandant.

C'est sûr que là, je suis dans ma septième année de pratique, déjà, le temps passe vite.

J'ai accueilli des externes qui commencent leurs stages à l'externat.

Puis, je me revoyais il y a plusieurs années dans cette position-là.

Je peux constater déjà des différences de générations.

Je sais que tu es beaucoup impliquée dans l'enseignement.

Toi, est-ce que tu as observé des changements à ce niveau-là?

J'ai observé des changements, j'ai observé des changements aussi dans notre façon de les
accompagner à devenir des docteurs.

Ça, j'y crois beaucoup.

Tu sais quand je te disais, je pense qu'il faut se donner la chance de réfléchir dans
l'action à comment on est, comment on se sent.

Et un petit peu pourquoi on se sent comme ça, pour être capable des fois de faire un peu
un arrêt sur image, le temps de gérer l'émotion, le temps de gérer la frustration, le

temps de gérer le sentiment qui nous habite.

Pour être capable après ça de revenir et d'avancer.

Je pense qu'eux, ils sont pas mal meilleurs que nous à pouvoir le faire.

Puis en les rendant

sensibles à ce besoin-là qu'on peut avoir de prendre ce temps-là, puis en leur faisant
voir les impacts positifs que ça peut avoir sur une pratique durable, je pense qu'ils vont

nous aider à améliorer bien souvent le contexte dans lequel on va pratiquer, parce qu'ils
vont être plus sensibles à le remarquer puis probablement à nous le renoter.

On parlait de la trajectoire de contact entre les soignants et les patients.

Il y a aussi avec les professeurs.

Je vais te lancer des fleurs parce que tu as été une mentore pour moi extraordinaire.

Très précocement, je me suis dit que c'est ce genre de docteur-là que je veux devenir.

Là, maintenant que je suis rendu là, dans mon rôle de professionnel, je réalise justement
l'importance du poids des mots et d'être un modèle de rôle positif.

Donc, je tente de reproduire ça avec les prochains qui s'en viennent.

Mais ça, tu vois, ça aussi, on a travaillé beaucoup à le rendre très explicite auprès des
résidents.

Tu sais, rapidement, quand tu es en formation, puis que tu es exposé à des externes, puis
que tu vas les côtoyer beaucoup, de réaliser que chaque fois que tu dis quelque chose,

chaque fois que tu fais quelque chose, il y en a des paires de yeux, puis des paires
d'oreilles qui te regardent, puis qui t'écoutent.

Donc, faisons attention à quels mots on utilise, comment on gère certaines choses, comment
on va agir auprès d'un patient, auprès d'une clientèle vulnérable, auprès de jeunes

externes, de jeunes résidents, parce qu'on est conscient de l'influence qu'on...

En le disant, maintenant, je me rends compte que ça peut ajouter à la pression qu'on a au
quotidien de bien faire les choses.

Mais j'en reviens à ce qu'on disait tantôt.

Je pense qu'intrinsèquement, quand on choisit de faire ce qu'on fait, on le choisit pour
les bonnes raisons, on le choisit parce qu'on veut faire une différence.

Puis à un moment donné, à force de se faire malmener par les contraintes, les impératifs,
les quotas,

les chiffres, la nécessité, le système qui est très rigide, on se fait malmener et
effectivement, on peut verser dans le cynisme et on peut verser dans le sarcasme.

Ce qu'il faut faire, c'est réaliser qu'on est en train de tendre vers quelque chose qui
n'est pas sain, qui n'est pas adéquat.

S'il n'y a personne pour nous le faire renoter, même si c'est un externe,

on ne le verra pas et on risque de glisser et de déraper.

Aussi cruel que ça peut être d'avoir un commentaire des fois un peu...

"Ben voyons donc, vous avez pas dit ça?", j'ose espérer que ça va nous ramener à dire
"Ouf, peut-être qu'effectivement j'ai dit ça et que c'était pas approprié pantoute et

qu'il faut que je fasse quelque chose".

Il faut miser là-dessus, d'être observé, d'être écouté, d'inspirer...

Ça fait aussi partie de la quête de sens qu'on mentionnait tout à l'heure.

Je pense que si on le réalise et que ça nous ramène à pourquoi on a choisi de faire ce
qu'on fait, bien, au-delà de la pression que ça peut engager en supplémentaire,

je pense que ça ramène beaucoup de positif à ce qu'on fait.

Ça nous rassoit de façon un petit peu plus saine par rapport aux relations qu'on a envers
les patients, mais aussi avec les apprenants qu'on va encadrer.

On parle parfois même de traumas intergénérationnels, des générations de
médecins-professeurs avant nous qui ont vécu une réalité, qu'ils ont transmis, qui ont

contaminé, on va dire, les générations suivantes.

Comme tu dis, on réalise qu'on peut autant contaminer négativement que positivement.

C'est là-dessus que j'essaie de me concentrer.

D'être assez humble parce que ça prend une certaine humilité quand on reçoit des
commentaires des fois sur notre style d'interaction avec des patients de la part de

personnes qui arrivent

avec un esprit qui n'a pas encore été contaminé par ce cynisme-là, par les exigences, puis
par toute cette réalité-là du terrain qu'on a dû absorber.

Quand on arrive au début avec une grande naïveté, mais je le dis dans le sens positif du
terme, ça prend donc une humilité pour être capable de se rappeler, "Ah ben oui, j'étais

là".

Et oui, moi aussi, je me rappelle de tel ou tel professeur qui m'a influencé.

Et d'essayer de se projeter dans le passé et de se remettre dans la place des apprenants,
je pense que ça peut faire une grande différence.

Définitivement.

Puis c'est très enrichissant, en fait.

Au même titre qu'on est privilégié, je pense, comme tu le mentionnais, d'avoir accès à
l'intimité de gens qui ont en nous une confiance parfois vraiment importante, on le vit un

peu de la même façon avec les apprenants.

Puis ce lien-là, c'est pour moi aussi un lien très privilégié.

Ça nous fait un bien immense de voir plein d'étoiles dans les yeux de ces jeunes
personnes-là qui viennent apprendre, qui sont super motivées, qui veulent, qui ont soif de

voir comment ça se passe.

Autant on une certaine responsabilité par exemple, d'être la meilleure version de
nous-mêmes quand on rentre en relation avec eux, justement parce qu'on va les influencer,

on va avoir un impact qu'on ne mesure pas toujours bien.

Donc c'est pour moi quelque chose qui est très similaire, je te dirais, en termes de
nourrir un peu l'être humain que je tend à être.

Ce qui m'amène un peu à parler des solutions.

Toi, qu'est-ce que tu verrais justement pour que les soignants puissent prendre soin d'eux
plus?

Mais je pense que déjà, passer par cette jeune génération-là, qui est beaucoup plus à
l'écoute de ça que ce que ma génération aura pu être, je pense que c'est un très très bon

point de contact, un très bon point de départ.

Je pense qu'il faut ouvrir la communication.

Pour être capable de faire un contrepoids à des systèmes rigides, je pense qu'il faut des
places pour se parler.

Il faut surtout lever certains tabous,

mettre en commun facilement ce par quoi on passe personnellement.

Puis ça ne prend pas des sessions formatées de 9 à 5, trois fois par semaine.

Ça prend surtout une capacité de pouvoir se donner un peu le bénéfice du doute.

Quand j'arrive puis que je te fais un petit coucou, bien, je le fais de façon
bienveillante.

Je ne le fais pas parce que je suis la chef, je ne le fais pas

parce que je me pense meilleure que toi, je le fais parce que là, j'ai comme l'impression
que t'as juste besoin qu'on prenne deux secondes pour jaser maintenant.

Je crois beaucoup dans les rapports humains.

C'est ce pourquoi je fais ma job.

Autant avec les patients qu'avec les étudiants.

C'est parce que je pense qu'il y a vraiment une plus-value importante à ça.

Mais c'est la même affaire avec mes collègues.

Je pense qu'on gagne à être nous-mêmes.

Pour être nous-mêmes, il faut se laisser la place parfois

d'exprimer certains sentiments qu'on a tendance à vouloir balayer en-dessous du tapis
parce que c'est juste plus d'adon et que ça nous permet de voir plus de patients dans la

prochaine heure.

C'est un peu ça, la démarche derrière ce balado, c'est un peu ça, la philosophie.

Il faut commencer quelque part, tout simplement.

Il faut ouvrir la discussion.

Puis souvent, quand je constate qu'il y a des collègues autour de moi qui peut-être
traversent des difficultés, bien au lieu de le garder pour moi, je vais m'ouvrir moi, à la

place.

Mon collègue qui reçoit cette ouverture-là, qui voit, qui a accès à ma vulnérabilité,
nécessairement en retour, va probablement être plus enclin à s'ouvrir.

Puis je pense que c'est, comme tu dis, dans la communication.

Il y a des ponts peut-être à reconstruire entre nous, entre nos professions.

Je pense qu'il ne devrait pas y avoir de hiérarchie.

On parle des soignants, dans le sens général du terme.

On a tous des réalités différentes, mais nos expériences sont toutes valides.

Elles sont très similaires en général.

C'est comme tu disais, des fois, juste de dire un petit coucou à quelqu'un qu'on a
constaté peut-être qui avait l'air de vivre quelque chose...

C'est juste de ça dont les soignants ont besoin.

Ils veulent se sentir vus, entendus, écoutés, considérés.

Donc je pense que ça commence par soi-même.

Il faut savoir se connaître, s'écouter, se respecter, puis s'ouvrir.

Et par la suite, je pense que ça peut faire boule de neige.

Effectivement, je suis tout à fait d'accord avec toi.

Je pense d'avoir accès à des plateformes, à des modèles, à des gens comme nous autres qui
ont passé par des affaires qui sont bien semblables à nous, ça permet aussi de normaliser

qu'à certains moments, ça se peut que ça aille moins bien et que c'est correct.

Que c'est correct de le dire, que c'est correct de ne pas faire semblant.

Mais en dessous du sarrau et du stéthoscope, c'est le même cœur, les mêmes yeux mouillés,
le même pas trainant des fois que d'autres auront dans d'autres circonstances.

Ça, il faut savoir le remarquer aussi.

Tu parlais de l'imprévisibilité de notre métier, mais je dirais que cette
imprévisibilité-là est prévisible.

On sait qu'il va y avoir des difficultés, on sait qu'il va y avoir des imprévus, que des
collègues vont tomber malades...

Donc, je pense qu'il faut aussi prévoir, s'adapter et prévenir,

finalement.

Parce que je pense qu'on inculque de plus en plus l'autocompassion, je pense, puis les
apprenants qui arrivent, je pense que c'est quelque chose auxquels ils sont très

sensibilisés.

Mais au-delà d'être dans l'autocompassion, dans la réaction, il faut être dans la
prévention, je pense.

Puis de ne pas attendre

d'être arrivés au bout de nos ressources avant de demander de l'aide.

Tout fait.

Tu as raison, l'imprévisibilité, elle se prévoit.

Elle doit même, jusqu'à un certain point, s'enseigner.

Là où je ne peux pas avoir de contrôle, je suis vulnérable.

Là où j'ai choisi d'avoir du contrôle, j'ai le gros bout du bâton.

Dans ma journée, je peux bien me dire qu'il va arriver un moment donné où je n'aurai pas
le contrôle, où je n'aurai pas prévu quelque chose,

mais j'ai toujours le contrôle d'accueillir la personne qui rentre dans mon bureau avec le
sourire, avec ouverture, avec un réel désir de faire une différence.

Dans la vie, il faut choisir, il faut mettre l'accent là où on a le contrôle.

Si je choisis de faire certaines choses en toute connaissance de cause,

j'ai beaucoup plus d'aisance à naviguer dans ça que si j'ai l'impression que je me fais
porter par le courant et que je n'ai vraiment pas de contrôle.

Il faut revenir à ça, je pense, beaucoup.

Ça se prévoit et ça s'enseigne.

Ça peut être une façon aussi de nous donner un peu d'effet de levier sur certaines
situations qui sont plus difficiles.

Il y a des soignantes, des soignants qui vont écouter ce balado, des proches, des
personnes qui s'intéressent à notre réalité.

Qu'est-ce que tu aimerais leur dire?

En fait, d'être attentif, d'être attentif à qui ils sont.

Pour les soignants, d'être attentif au moment où on est un peu plus fatigué, un peu plus
irritable...

Ça, c'est un signe qu'il faut absolument respecter, puis c'est un signe qu'il faut prendre
une pause petite, grande, elle dépendra du contexte, mais ça, pour moi, c'est important.

À ceux qui gravitent autour des soignants...

J'aimerais leur dire d'être à l'écoute parce que des fois, malgré toute la bonne volonté
du monde, on se cache quand même derrière nos masques et on n'est pas aussi ouvert qu'on

devrait peut-être l'être.

Si on nous rappelle à l'ordre, si on nous ouvre la porte, peut-être que ce sera une façon
de désescalader quelque chose qui est en train d'aller un peu moins bien.

C'est ça que j'aurais envie de dire.

Tu parlais justement du sarrau, du stéthoscope.

L'image que ça me donne, c'est une armure.

Qu'on se protège des fois de notre propre vulnérabilité quand on a des choses qui nous
habitent, qui nous perturbent même, à la limite.

De jouer ce rôle-là du soignant, presque du sauveur parfois, c'est un mécanisme de fuite,

Tout à fait.

mais dont il faut être conscient.

Puis je pense que de, comme tu dis, s'écouter, puis au lieu de mettre l'armure par-dessus,
de juste aller plonger à l'intérieur puis de voir...

ce que je sens en ce moment-là, il y a une raison.

Il faut prendre le temps de s'écouter et de demander de l'aide pour venir mettre de
l'ordre des fois dans tout ce chaos.

Effectivement.

Je dois rendre hommage en fait à ma famille, à mes proches.

Mes filles sont très bonnes pour me ramener à ça.

Oui, c'est ça.

Je pense que...

J'ose souhaiter que chaque soignant a accès à quelqu'un quelque part qui lui veut du bien
et qui est capable justement parfois de permettre cette ouverture-là,

cet espace de discussion bienveillante pour être capable de pouvoir continuer à faire ce
qu'on fait au quotidien.

Et puis, dernière question, si tu pouvais parler à Chantal d'il y a 31 ans, avant tout,
tout le début, ton parcours, de quoi tu aimerais te mettre en garde ou qu'est-ce que tu

aimerais te dire?

J'aimerais me dire de profiter, je pense.

Le temps passe vite.

Il y a des choses qu'on vit qui sont tellement pleines de richesse.

Des fois, on passe un peu à côté parce qu'on est pressé, parce qu'on veut faire plus,
parce qu'on veut faire autrement, parce qu'on veut faire mieux.

Je me dirais de profiter.

Que le temps va s'arranger de toute façon pour me faire avancer pareil, puis que je n'ai
pas besoin d'aller plus vite que ce qui est nécessaire.

Je pense que c'est ça que je me dirais.

Merci beaucoup, Chantal, pour l'heure qu'on a passée ensemble.

J'étais convaincu que ça allait être passionnant et j'ai été bien servi.

J'ai beaucoup de gratitude pour ton témoignage.

Je suis honorée, Steven, que tu aies fait appel à moi, vraiment.

Ça m'a fait énormément plaisir.

C'est quelque chose qui est important, vraiment.

Merci encore et à bientôt.

Oui, avec grand plaisir.

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Créateurs et invités

person
Hôte
Steven Palanchuck, MD
Médecin et fondateur de VociNova – La nouvelle voix des soignants. Créateur du balado Soigner jusqu’à se briser et de MedicaBot - Dialogue & Dx, il met en lumière la détresse des soignants et les enjeux du système de santé.

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